Recrutement [Libre]

Samedi 25 septembre
14h00

L’interminable matinée d’après bal avait fini par prendre fin et l’heure du repas lui avait donné un peu de répit bien que l’infirmier soit loin d’être au bout de ses peines.
L’heure de son petit recrutement approchait et si la plupart des élèves ne viendraient pas il savait qu’il y aurait toujours des intéressés ou des élèves assez téméraires pour oser s’aventurer dans l’infirmerie sans que cela ne leur soit vraiment nécessaire. Il savait qu’à partir de ce jour il devrait être assez effrayant pour qu’on ne revienne qu’en cas d’obligation et assez bon pour qu’on ait envie d’être son assistant. Sans ça jamais il ne pourrait avoir la paix que la plupart des nuits et malheureusement il avait autant besoin de sommeil que tous les autres habitants de l’école, ce qui ne lui laissait aucune pause entre ses recherches et ses patients et surtout pas le loisir de sortir de la grande pièce blanche et verte.

Ce n’était pas qu’il n’aimait pas vivre dans cette salle mais quand on est plante on a besoin d’être dehors et non confiné dans un espace clos, il finirait par étouffer et n’être plus capable de vivre entre quatre murs n’était pas compris dans ses plans. Il savait qu’une vie d’ermite en plein air n’était pas encore ce qui l’attendait pour réaliser ce qu’il avait à faire.

Avant que les élèves n’arrivent il avait eu assez de temps pour manger rapidement et se consacrer à un grand ménage, chose qu’il n’avait pas fait depuis longtemps et qui avait été insupportable pour sa maniaquerie chronique.
La pièce semblait briller de mille feux tant il y avait mis d’énergie, même ses plantes étaient plus belles que d’habitude car il avait pu s’en occuper comme il le faisait autrefois, alors qu’il y consacrait la plupart de son temps. L’odeur d’alcool et de désinfectant aussi avait disparue quand il aéra la pièce, c’était un stratagème efficace pour son arrivée mais qui n’avait pas grand intérêt à long terme si ce n’était d’agresser l’odorat sensible de ces enfants prétentieux. Mais il préférait enlever cet inconvénient qui nuisait aussi à ses plantes, lui étant habitué depuis trop longtemps ne s’en souciait même plus. Il y avait bien d’autres manières pour rendre les visites à l’infirmerie les plus insupportables possibles, des manières plus subtiles qui dissuaderaient ces élèves de venir au moindre petit problème.

Au moins la pièce plus accueillante ferait moins fuir ceux qui avaient pris leur immense courage pour se présenter aux portes de la terrible antre du petit homme. Il aurait presque pu postuler pour le rôle du méchant dans un mauvais roman mais la vision manichéenne qu’avaient la plupart des gens n’était pas des siennes.
Il avait pris soin d’enfermer Siffrit dans son cabinet, s’il y avait beaucoup de monde il n’avait pas l’intention de surveiller constamment le reptile qui dans la foule pouvait se comporter de manière imprévisible. Un bain de sang aurait fait la joie de n’importe quel vampire mais tuer des hommes parce qu’il ne les aimait pas n’était pas dans ses principes, heureusement sinon il aurait beaucoup plus de travail qu’il n’en avait déjà.

Il se remémora rapidement les qualités principales qu’il attendait d’un assistant et se demanda combien de celles-là il devrait réellement exiger, il n’était pas pessimiste mais avait appris depuis longtemps à ne pas trop attendre des autres. Comme disait le proverbe on n’est jamais mieux servi que par soi-même.

Une dizaine de minutes avant l’heure prévue il ouvrit et bloqua la porte de l’infirmerie, il en avait vraiment assez d’entendre les élèves frapper par peur de se faire dévorer tout cru en entrant simplement. Il n’y avait dans sa culture pas de règles de bienséance et pour lui entrer sans frapper relevait de l’évidence. Dans la plupart des cas bien sûr mais quand on avait vraiment besoin de quelqu’un on allait le voir sans aucun protocole futile. De toute manière on le dérangeait toujours en venant le voir alors autant le faire vraiment plutôt que d’attendre qu’il invite quelqu’un à entrer dans sa salle, ce qui n’aurait jamais réellement lieu à part si on comptait les recrutements qu’il ferait chaque samedi. Il avait choisi ce jour car c’était celui qu’il détestait le plus tant il avait de visites alors autant le rendre encore plus détestable plutôt que de prendre un soir, moment de la journée où il aspirait le plus à la tranquillité. C’était aussi un moment où tous les élèves étaient libres, ils n’avaient donc pas d’excuses pour ne pas s’être présentés, ainsi tout allait bien dans le meilleur des mondes.

Il repartit s’asseoir à son bureau, attendant que les premiers élèves arrivent et espérant que ça ne durerait pas trop longtemps, avec un peu de chance il verrait sans trop avoir à les interroger quel élève lui servirait le mieux.

Perce-Neige Snowdrop, Altesse et Héritière du Trône Sous La Montagne, détestait froidement Ish Al Izun, plus connu sur le nom de « Petit Gueulard » dans les dortoirs de Kiah'l. Elle le méprisait pour tous les aspects de sa personnalité qu'il lui avait montré jusque là – le « jusque là » englobant en tout et pour tout une désastreuse visite à son infirmerie où elle avait eu l'impression d'avoir à se battre pour lui arracher ce qu'elle estimait être le minimum des services qu'il était censé être payé pour lui rendre. Son mépris était froid, distant et profondément indifférent; encore quelques jours et elle ne concevrait d'ailleurs pour lui qu'une vague et faible forme de pitié.

Pourtant, lorsqu'en sortant de cette détestable entrevue elle était tombée sur l'annonce appelant les candidats au poste d'assistant de l'infirmier à se présenter, elle n'avait pas pu résister. Sa fierté de ne plus rien avoir à faire avec lui était une chose, mais sa soif de connaissance en était une autre. Il était malappris, le Petit Homme, avec ses cheveux étranges et sa manie de l'insulter deux fois par phrases; mais il était doué d'un certain nombre de savoirs qui manquait à notre amie. Et comme Perce-Neige était sortie du doux cocon de sa caverne pour satisfaire sa recherche de savoir, et qu'elle était prête pour cela à braver toutes sortes de choses, revoir ce cher sieur Izun ne l'inquiétait pas.
Un refus ne l'effrayait pas non plus : il ne l'apprécierait pas, mais elle était sérieuse, ponctuelle, obéissante, diligente et travailleuse. Tous les élèves seraient de toute façon traités de la même manière.

Et s'il ne la prenait pas cette semaine, elle reviendrait la semaine d'après : les cours de l'école ne prenait pas forcément en charge les propriétés des plantes telles que M. Ish devait les avoir expérimenté. C'est ainsi que, le fameux Samedi de sa visite, elle sortit une première fois de l'infirmerie assez peu satisfaite. Puis, après un léger repas, elle attendit l'heure citée dans l'annonce en lisant sagement au dortoir. Cinq minutes avant l'heure dite, elle descendit à l'infirmerie et, à deux heures pile, se situait à quelques pas de la porte grande ouverte. Elle franchit celle-ci sans toquer, le Petit Homme ayant expressément demandé de ne pas le faire, et se retrouva face à lui. Il n'avait pas l'air content, mais cela ne lui fit ni chaud ni froid.
Remarquant au passage que l'infirmerie semblait en meilleur état – mieux aérée, mieux éclairée, presque agréable – cela l'encouragea dans la poursuite de sa quête. Elle s'adressa à lui de l'habituelle voix neutre et polie qu'on pouvait lui connaitre. La plupart des formules de politesses qu'elle aurait pourtant incluses étaient absentes : la jeune fille apprenait vite.

« Rebonjour. Je viens à nouveau me présenter à vous, ce coup-ci en réponse à l'annonce que vous avez épinglé sur le tableau d'affichage. »

L’heure fatidique finit par arriver et plusieurs élèves rentrèrent saluant ou non le petit homme qui ne prit ni la peine de lever la tête ni celle de leur répondre, chose qu’il aurait sans doute faite avec la plus grande courtoisie. Il laissa s’écouler quelques minutes le nez plongé dans son grimoire, faisant mine de n’avoir rien vu ni entendu, il détestait qu’on arrive en retard et n’avait pas la moindre intention de répéter dix fois ce qu’il aurait à dire. Et puis il tenait à voir la patience et la maîtrise que chacun avait, c’était toujours bon à savoir. Quant à la ponctualité il ne pourrait en juger que plus tard, ce n’était pas parce qu’ils étaient à l’heure qu’ils le seraient à chaque fois.

Il finit de parcourir quelques lignes et décida qu’il était temps de commencer, il y avait peu de chance que d’autres élèves arrivent. Il prit le temps d’observer chaque élève présent, ils étaient quatre. La première avait des airs de petite princesse, elle devait être une derviche puisqu’elle ressemblait fortement à ceux qu’il avait fréquenté en d’autres temps. Il l’avait déjà vue, son œil lui disait qu’il l’avait soignée récemment mais il n’aurait pu dire de qui il s’agissait, quelle importance de toute manière ? La deuxième avait des airs vampiriques, qu’une buveuse de sang vienne postuler lui paraissait très drôle bien qu’il ne craignait pas ce genre d’individu, il avait bien réussi à maîtriser un Siffrit dans un hôpital. La troisième était… encore une fille ! Il la regarda plus longtemps que les autres, au moins avait-elle le mérite de ne pas être classée au premier coup d’œil du petit homme, elle ne lui donnait pas d’impression particulière. Le dernier était de couleur blanche, il lui faisait penser à ces imbéciles d’elfes des montages. Il n’aurait su dire s’il était en retard ou en train de faire sa course du samedi mais il n’avait pas l’air très intelligent.

Après avoir fixé longuement chacun d’eux, son œil glacial dans leur regard il ne leur porta qu’une faible attention, faisant quelques pas pour s’approcher.

« Bien bien. »

Il les regarda à nouveau, appuyant ses mots indifférents par un regard frigide. C’était plutôt amusant de les déstabiliser mais il prenait plus de plaisir à se moquer des autres qu’à jouer du petit effet qu’il pouvait faire sur chacun d’eux. Heureusement pour les élèves il n’avait pas encore l’intention de les railler ou de les humilier même si un simple bonjour pouvait être fatal à qui s’adressait au petit homme.

« Je suppose que vous savez tous pourquoi vous êtes là, sinon je ne resterais pas ici à votre place, Siffrit a très faim aujourd’hui » Déclara-t-il joyeusement, ne pouvant résister à la tentation. Il regardait particulièrement le garçon.

« Mais évidemment personne ne viendrait ici sans une bonne raison. Maintenant que vous avez fait preuve d’un immense courage dites moi chacun votre prénom et votre nom – si vous en avez un – votre classe, votre élément et éventuellement votre ascendant, vos motivations et vos qualités pour être assistant. »

Il avait songé à leur demander de se battre les uns contre les autres, ce qui l’aurait amusé grandement, mais cela ne rentrait pas vraiment dans le contexte. Et puis ce n’était que des gamins ils ne savaient rien faire et ça n’aurait pas été techniquement intéressant. Surtout qu’il aurait dû soigner tous ces joyeux compagnons et ça n’aurait sans doute pas plu à l’administration. Ca aurait été trop bien pour les élèves s’il partait si vite et il n’avait absolument pas l’intention de leur donner ce plaisir. D’ici la fin de l’année ils finiraient bien par s’accommoder à son horrible caractère et à reconnaître ses valeurs. Les choses marchaient ainsi mais les habitants de ce monde avaient besoin de beaucoup trop de temps pour comprendre, il était étonnant qu’ils soient toujours en vie.

« Et ne parlez pas tous en même temps, je n’ai que deux oreilles, pas dix. »

Il ne restait plus qu’à attendre que l’un d’entre eux se décide à ouvrir la bouche et à évaluer s’il y en avait un qui était capable de répondre au minimum de ses attentes. Il était évident qu’il ne trouverait personne pour le satisfaire complètement mais cette personne là n’existera jamais.