Observation [Arghann - Libre]

Mardi 14 septembre
12h38

Un miracle avait eu lieu aujourd’hui. La Déesse avait écouté ses prières.
Miracle parce que premièrement il n’avait pas vu un chat de la matinée, deuxièmement parce qu’il avait pu travailler toute la journée sur ce qu’il avait entrepris en milieu de semaine dernière et il avait enfin trouvé la clef.

Bien qu’il soit exténué rien d’autre qu’une découverte conséquente dans ses recherches n’aurait pu le rendre plus heureux. Il avait enfin mis au point ce qu’il avait appelé Dajan : une potion capable de rétablir le principe de régénérescence qu’il avait développé grâce à ses pouvoirs avec la photosynthèse. Il s’était empressé d’inscrire la recette ainsi que toutes les informations utiles et les nombreux tests qu’il allait devoir élaborer pour être certain de l’efficacité et de la sécurité d’une telle potion. Quand il aurait fini il ne lui resterait plus qu’à l’améliorer au maximum avec toutes les informations qu’il aurait recueillies.
La découverte avait de quoi le rendre plus riche que n’importe qui mais ce n’était pas le but du petit homme, il n’avait que faire de pièces qui n’avaient que la valeur qu’on leur donnait, ce qui était plus que le néant pour lui.

Il partit dans son cabinet pour se restaurer et s’assit en tailleur sur un vieux tapis : il avait préparé une mixture verte uniquement à base de plantes qui aurait effrayé l’homme le plus végétarien et terrifié les mangeurs de viande. Il suffisait cependant de goûter pour savoir que le plat était délicieux, s’il mangeait simplement et uniquement des plantes il n’avait jamais eu l’intention que sa nourriture ait le goût horrible des remèdes qu’il donnait.
Lorsqu’il eut fini il ferma les yeux, cherchant en lui le calme et le vide que lui avait donné la Déesse. Il pria avec ferveur pendant presque une heure puis s’abandonna à une méditation destinée à lui donner repos et bien être. Il en avait plus que besoin car il avait passé toutes ses nuits à la confection de sa potion et n’aurait pas supporté de soigner les égratignures de tous ces élèves autant maladroits que stupides. Et il valait mieux qu’il garde son contrôle car Siffrit avait tendance à caler son humeur sur la sienne et si le serpent devenait incontrôlable il n’avait pas envie de se retrouver face à un massacre sanguinolent, il ne savait pas encore ressusciter les morts.

Les minutes s’écoulèrent longuement et quand il ouvrit les yeux il regarda la petite pendule noire qui indiquait presque 12h25. L’heure lui parut assez avancée pour qu’il se remette au travail, il se leva et se dirigea vers l’un de ses plans de travail où plusieurs fioles contenant la potion étaient posées. Il prit celle qui était le plus à gauche et l’avala d’un trait en grimaçant, le goût était exécrable.
Il ne ressentit d’abord rien puis tout devint flou autour de lui – un effet secondaire qu’il avait intérêt à éliminer rapidement. Peu à peu il retrouva sa vision et sentit de la chaleur se dégager de son corps aux endroits où la lumière qui sortait par l’une des fenêtres était la plus forte.
C’était une sensation grisante qui donnait l’impression d’être soudain envahit d’une grande énergie et d’une santé de fer. Instinctivement il savait que c’était le genre de potion qui permettait d’accroître ses pouvoirs si on s’en servait bien. Mais c’était plus qu’une impression, c’était la réalité.
En levant son bras il remarqua que celui-là était plus blanc que d’habitude ou peut être d’un blanc différent… Puis il comprit, tout son corps s’était enluminé et s’il avait été chrétien il se serait presque cru être un ange au Paradis. Pour lui ce fut tout de suite un effet indésirable qu’il devrait éliminer sans espérer de dommages dans la puissance de la potion. Si la lumière créée était pratique pour s’éclairer dans le noir, ressembler à un fantôme n’était pas très utile en cas de combat, c’était une évidence pour le petit homme d’être caché constamment. Il se demandait si la lumière n’était pas une manière de réguler la puissance de la potion et si en la supprimant il ne pouvait pas la rendre plus dangereuse et plus efficace.
Il sourit, c’était un risque qu’il était prêt à courir au nom de la recherche et puis il était assez expérimenté pour connaitre l’ampleur de son pouvoir et le risque qu’il courait. Il se savait aussi que son pouvoir était assez puissant et assez contrôlé pour qu’il développe quelque chose d’intéressant.

En l’espace d’un instant il sut que tout ce qui pourrait lui arriver serait certes agaçant mais supportable, il avait assez avancé dans sa recherche pour n’être qu’exaspéré en regardant toute la médiocrité de ce monde.

Årghann avait décider de se rendre au lac, n'ayant pas spécialement faim, et se mit en tête de tenter de comprendre les cours qui avait eu dans la matinée. Mais rapidement il s'était lassé de cette activité, ne trouvant son bonheur que dans les quelques dessins qu'il avait réalisés à la plume au lieu de travailler sérieusement. Des dessins qui avaient tendance à rendre les quelques rares personnes les ayant vus plutôt tendues et légèrement angoissées; généralement les gens n'aimaient pas trop qu'on leur présentât des images de morts et de douleur, cela les mettaient mal à l'aise, à moins qu'elles ne fussent tout simplement aussi sadiques que quelques uns des personnages peuplant ses cours. toujours est-il qu'il ne dessinait que des êtres à l'agonie ou en massacrant d'autres, et bien souvent ses esquisses étaient suffisamment réalistes pour faire naître l'image dans l'esprit de celui qui observait ce dessin, et suffisamment abstraite pour laisser une part importante à l'imagination et faire frémir le curieux; l'Ombre avait fini par comprendre que ce n'était pas tant une scène mise à nue et dévoilée sans le moindre artifice qui dérangeait, mais aussi tout ce que l'imagination pouvait y ajouter, comme des Spectres qui se faufileraient au détour du couloir dans lequel venait justement d'être massacré un jeune Elfe et où se trouvait une femme des plus charmantes, une expression parfaitement neutre sur le visage, et tenant à la man un long poignard effilé.
Finalement l'élève avait rangé ses plumes, ses parchemins et son encre avant de s'absorber pleinement dans la contemplation de l'eau calme et de retrouver un certain calme intérieur. Puis il se dit qu'il était temps de se lever; l'infirmier ne devait certes pas l'attendre, mais Årghann aimait s'y rendre à certaines heures, pendant lesquelles so humeur était, pour une raison que lui-même ignorait, légèrement meilleure; le reste du temps il n'avait pas vraiment l'esprit à supporter la présence de quelqu'un dans ces moments-là et préférait se tenir à l'écart de tout ce qui ressemblait de près ou de loin à un élève.
L'Ombre arriva enfin au château, et traversa les couloirs d'un pas nonchalant, pas vraiment pressé. Ce n'était pas urgent, il n'avait de toute façon pas encore trouvé de quoi contenter le petit homme au sujet des Aspics et savait qu'il ne parviendrait donc pas à vraiment attirer son attention. Non pas que cela ne le motivât outre-mesure, mais au moins il n'était pas obligé de s'y rendre de suite.
Il rejoignit tout de même relativement vite devant la porte de l'infirmerie qu'il poussa sans faire de bruit. Inutile de contrarier l'occupant des lieux, il n'était pas vraiment nécessaire de se retrouver à supporter des sarcasmes peut-être plus violents que de coutume. Il ne vit pas l'infirmier, qui devait sûrement être occupé à faire tout un tas de choses qui ne regardait que lui, et en fut presque soulagé avant de se rendre compte à quel point sa réaction était stupide. N'était-ce pas lui qui avait demandé un tel service au petit Homme? Alors maintenant qu'il s'était plus ou moins engagé, il devait continuer sans se mettre dans la tête qu'il aurait du mal à supporter l'infirmier. Après tout, il pouvait toujours se dire que c'était une sorte d'entraînement mental... non?

Il était en train de noter sur une feuille à part ses premières impressions lorsqu’il entendit la porte s’ouvrir puis se fermer sans trop de bruit. Un élève sans doute déjà venu puisqu’il n’avait pas frappé et pas vraiment pressé. Il ne savait pas de qui il s’agissait – en s’en fichait profondément – mais puisqu’il ne présentait pas d’urgence il attendrait un peu. La matinée aurait été presque belle si on ne l’avait pas une fois de plus dérangé, heureusement pour l’individu il n’était pas de mauvaise humeur et son lunatisme s’était quelque peu estompé grâce à l’avancée conséquente de son travail. C’était sans doute le seul bon point depuis son arrivée étant donné qu’il n’avait pas encore trouvé un cas rare et intéressant auquel il n’aurait jamais été confronté auparavant.
Siffrit était comme à son habitude lové sur son bureau mais le danger que le prédateur présentait n’incita pas le petit homme à se presser davantage. L’élève, s’il n’était peut être pas doué d’intelligence, avait tout de même un instinct qui devrait l’empêcher d’approcher de trop près et si le reptile se faisait menaçant il n’aurait qu’à crier.
Mais Siffrit avait intérêt à se tenir à carreau, il n’avait pas du tout l’intention d’accourir pour soigner quelqu’un en train de se vider de son sang. Bien sûr il avait toujours sur lui de quoi ralentir le poison et stopper l’hémorragie mais il devait toujours faire très attention à doser en fonction de l’âge et de la race de la victime. Et il ne connaissait pas toutes les races de ce monde, tant qu’il n’aurait pas trouvé de solution miracle ou d’antidote fiable le serpent restait un danger important. Heureusement pour l’élève la bête connaissait très bien son maître et restait tranquillement sur le bureau sans faire attention à l’éventuel casse-croûte, manger un petit n’était pas assez bon face à la terrible colère d’Ish Al qu’il devrait essuyer.

Au bout d’environ cinq minutes le petit homme se décida enfin d’arrêter d’écrire et d’aller voir ce qu’il pourrait faire pour ce nouveau visiteur. Il marcha tranquillement et sortit de son cabinet pour se diriger vers son bureau sans d’abord jeter même un coup d’œil à l’élève. Puis il s’arrêta à mi chemin comme s’il venait soudain de s’apercevoir de sa présence.

« Vous désirez ? »

Lâcha-t-il sur un ton peu aimable mais moins désagréable que d’ordinaire.
Il ne voyait pas dans cet élève la moindre trace de blessure ou d’une déficience caché qu’un œil exercé saurait immédiatement déceler. N’étant pas de nature très curieuse pour ce genre de chose il poursuivit son chemin, attendant que l’autre lui en dise plus sur ses terribles malheurs de petit enfant qui ne connait rien à la vie.

Il tenait dans sa main la feuille où il avait inscrit tous ses commentaires et il feuilleta rapidement son grimoire pour arriver à la page qui l’intéressait. Il y glissa la feuille avant de rabattre brutalement la couverture, un bruit sourd accompagna le geste.
Le petit homme se retourna pour fixer l’élève, attendant sa réponse. Il ne pouvait même pas anticiper les soins qu’il aurait à lui procurer ni même les ingrédients infects qu’il pourrait rajouter pour s’amuser un peu. Celui là avait en tout cas de la chance, son humeur moins prononcée que d’habitude le poussait à lui consacrer un peu plus d’attention et peut être un peu plus de temps si son mal le nécessitait. Mais il en doutait profondément, il savait reconnaître quelqu’un en bonne ou en mauvaise santé et un mal grave n’aurait pas échappé à son coup d’œil certes rapide mais très observateur. Non celui là faisait partie d’un de ces rares importuns qui ne devaient venir que pour le plaisir de se faire rabaisser et humilier. Il croyait pourtant que le masochisme avait ses limites.

Siffrit avait levé la tête, curieux de cette visite et il semblait reconnaître celui qui ne s’était pas encore présenté. Un léger et continuel sifflement était le seul bruit présent dans la pièce mais le petit homme n’aurait su l’interpréter, il n’écoutait pas beaucoup l’avis du serpent ne l’ayant jamais trouvé d’une utilité extraordinaire. Cela ne l’intéressait tout simplement pas, il n’avait rien à voir avec les animaux et était incapable d’écouter et de comprendre leurs conseils.

L'Ombre soupira lorsqu'il se rendit compte que l'Infirmier ne l'avait pas reconnu. Il ignorait le pourquoi d'un tel « problème »_ qui ne paraissait pas le moins du monde ennuyer le petit homme_ et s'en moquait un tout petit peu. Mais par contre il commençait à en avoir assez de toujours devoir donner son nom et sa classe, à croire que l'infirmier n'avait pas la moindre mémoire visuelle. Ce qui était, après tout, tout-à-fait possible; le brouillard concernant le passé de l'homme était si épais que plusieurs fois il s'était demandé si cet être possédait au moins[u]un[/b] souvenir...
Ce qui, apparemment, n'était pas le cas puisqu'il était totalement incapable de se rappeler de l'élève, qui venait lui-même tous les jours. Sauf que tous les jours, il devait se présenter. Si cela continuait ainsi il allait devoir faire une sorte de fiche avec son nom, son prénom et les deux raisons de sa présence en ces lieux, à savoir ses recherches sur les Aspics et ses entraînements sur son pouvoir_ même s'il était plus souvent là pour la seconde raison que la première...
D'ailleurs, en pensant aux recherches qu'il devait effectuer pour cet homme il jeta un regard à l'énorme serpent qui sifflait de façon continue. Il aurait bien aimé pouvoir comprendre ce que disait en ce moment-même l'énorme reptile, sûrement que ce devait être un tantinet plus passionnant que la grande majorité des conversations que pouvaient avoir les élèves entre eux.
Il observa l'animal avec une attention non feinte, et tenta de faire le parallèle avec ce qu'il avait déjà lu sur les Aspics. Il lui semblait que déjà, c'était une race rare. Mais en plus Albinos... Il se demanda également si celui-ci était bien de la famille des Zinniker. Il n'arrivait pas bien à le voir, parce qu'il ne se rappelait pas bien des caractéristiques des serpents de cette famille. A part peut-être le dessin formé par les écailles, bien entendu totalement inexistant pour le serpent albinos...
Je suis l'Ombre qui vient tous les jours pour m'entraîner un petit peu avec mon pouvoir, et pour vous apporter le fruit quasiment inexistant de mes recherches
Il commençait à connaître un tout petit peu l'infirmier,et supposa qu'il allait chercher dans son gros livre des informations sur lui; il avait remarqué que c'était l'une des manies de l'infirmier: noter tout un tas de choses dont n'avait pas connaissance l'élève; mais à voir comment il consultait cet ouvrage à chaque fois qu'il se présentait il s'était dit que c'était là un moyen comme un autre de se rappeler des gens qu'il croisait.
L'Ombre reporta son attention sur l'énorme reptile. Il était conscient du danger que représentait cet animal, mais ne pouvait s'empêcher d'être quelque peu... fasciné par l'étrange animal; finalement peut-être que l'élève s'était découvert enfin une nouvelle passion, et que cette passion portait sur les serpents! Ou peut-être que cet intérêt plutôt soudain était généré par le seul fait que les serpent fussent des cousins très éloignés des Dragons, pour lesquels il vouait une admiration sans bornes. Ce devait sûrement être cela, de toute façon cela faisait tellement longtemps qu'il n'y avait pas grand-chose qui était parvenu à vraiment le captiver_ à part quelques uns de ses cours, mais pouvait-on dire que cela était une passion? Il n'en était pas très sûr.
Je ne suis pas certain d'avoir trouvé quelque chose de concluant à la bibliothèque. Ils parlent beaucoup des autres sous-espèces des Aspics, mais pas vraiment de celle de votre compagnon... Je crois qu'il s'agit des Zinniker. Mais je n'en suis pas certain, je chercherai d'avantage ce soir.
Årghann supposa que l'infirmier se moquerait quelque peu de sa dernière phrase, mais avait quand même voulu annoncer la couleur. Au moins, on ne lui en demanderait pas trop, sur le sujet. Du moins pas vraiment pour le moment...

Un élève qui venait régulièrement ? C’était bien ce qu’il se disait, lui n’oubliait pas donc lui était atteint d’un certain degré de masochisme. Les paroles de l’élève éveillèrent en lui des souvenirs brumeux, qu’avait-il voulu faire ? Celui là maîtrisait le temps, peut être qu’il avait réussi à effacer de sa mémoire les moments désagréables qu’il avait passé avec lui et qu’il ne venait que pour l’objectif qu’il s’était fixé… Mais c’était trop surestimer un élève que de penser une telle chose.
Tout au long de sa réflexion il fixait l’intrus d’un œil glacial, ne lui montrant rien de lui-même comme si rien ne passait dans sa tête et qu’il se contentait simplement de l’écouter.

L’élève ne le regardait pas, fasciné par l’imposant reptile qui s’était dressé, son expression à la fois menaçante et joviale. Le serpent incarnait sa colère, son agressivité dont il n’avait gardé que la mauvaise humeur et les sarcasmes. Ils avaient tous deux de la fierté, une froideur impassible et un manque total de sympathie pour la plupart des autres êtres vivants. Mais c’était indéniable, tout les séparait, la complicité qu’on croyait voir en eux n’était qu’un mirage pour tromper. Chacun savait ce que l’autre avait derrière la tête et seul l’amour de la bête aurait pu changer quelque chose.
Mais lui n’avait d’amour pour personne, c’était tout simplement un sentiment qui n’existait pas à ses yeux, une chimère de l’imagination dans laquelle les gens s’abandonnaient fréquemment sans qu’il puisse comprendre pourquoi. Si on lui avait laissé sa mémoire il l’aurait su mais on la lui avait retirée pour une bonne raison et cet argument suffisait pour qu’il ne se pose pas plus de questions. De toute manière ça n’aurait servi à rien il n’aurait trouvé la réponse qu’en demandant aux autres et cela frisait le ridicule, jamais il ne serait tombé dans une telle bassesse.

« Les Zinniker ? Mais dites-moi vraiment à quoi cela vous sert de m’en parler si vos recherches ne sont pas concrètes ?! Ecoutez, si vous n’avez pas l’intention de faire votre travail comme il le faut dites le moi tout de suite que je ne perde pas plus de temps. »

Sa mauvaise humeur avait soudainement ressurgie et il s’était mis à marmonner tout ce qu’il pensait de ces maudits élèves qui ne seraient jamais capables de rien. Le monde allait s’effondrer si la jeunesse ne faisait pas plus preuve d’intelligence et de réflexion. Heureusement pour l’élève ses paroles prononcés si bas étaient presque inaudibles et seuls quelques mots se détachaient clairement.
La Déesse était aussi ironique qu’il l’était avec ces misérables êtres humains, il ne comprenait pas pourtant pourquoi il devait mériter un tel châtiment.

Il ne pouvait pas rester très longtemps à insulter ses croyances et cela le calma, il savait que les desseins de la Déesse ne prenaient pas en compte ce genre de petits sentiments et qu’il se rabaissait au rang de ces imbéciles en supportant mal leur incapacité et puis c’était le lot des inférieurs. Mais qui aurait pu supporter pareilles choses ? Etre exilé ici sans jamais avoir rencontré quelqu’un qui lui ressemblait et qui le comprenait était quelque chose de difficile à vivre quand on était en société.
Siffrit siffla, ramenant le petit homme à la réalité, il avait perçu ses pensées et l’avait rappelé à l’ordre, tous deux savaient ce qu’il avait à faire et quelles fautes il commettait depuis son arrivée.
Il ramena à lui une humeur qui se rapprochait de l’indifférence, il y avait vraiment bien longtemps qu’il n’avait pas vu autant de monde en un laps de temps si court et cela avait le don de le mettre constamment sur les nerfs. Mais il devait se maîtriser, il était Ish Al Sizun et ce n’était pas rien !

« Bien. Je suppose que si vous êtes là c’est que vous avez réfléchi. Donnez moi une réponse rapide, je suis là pour soigner les gens et non les aider alors si ce que je vous ai proposé ne vous convient pas nous pouvons arrêter tout de suite plutôt que de constater que ça ne vous intéresse pas du tout. Et ça je le verrais très vite. »

Sa voix froide et dure s’arrêta brutalement, laissant tomber l’infirmerie dans un silence profond que seul l’élève pourrait rompre. Le petit homme ne parlait jamais quand il n’avait rien à dire et il venait d’aborder les deux seuls sujets qui faisaient que celui-là était encore présent dans son antre.
Quiconque serait entré ici sans une raison valable se serait retrouvé avec un serpent à ses trousses et les insultes particulièrement blessantes du détestable infirmier.

Årghann ne savait pas vraiment comment réagir à la suite d'une telle tirade. Il aurait pourtant du s'y attendre, l'infirmier n'était vraiment pas quelqu'un à prendre à la légère. C'était, par ailleurs, la personne pour laquelle il était le moins conseillé de faire perdre son temps... ce qui était, aux yeux de l'élève, un sérieux paradoxe; il avait déjà perdu son temps... Ou plutôt il avait fait une abstraction totalement volontaire de son passé_ du moins Årghann la percevait comme étant totalement volontaire; ce n'était pas un homme qui semblait souffrir de quelques problèmes physiques hormis peut-être une forte facilité à oublier tout ce qui ne le concernait pas directement... et encore même cela il parvenait à l'oublier. Mais il; maintenait sa version de l'oubli volontaire, persuadé qu'il était que lorsqu'une personne avait un tel caractère c'est qu'elle devait avoir eu la vie qui, généralement, allait avec; difficile, dure, sans la moindre pitié de la part d'une prétendue divinité inexistente et de ces êtres qui le plus souvent se disaient être des amis.
Des amis... ou plutôt des profiteurs, qui jamais ne semblaient avoir autre chose en tête que de chercher quelque chose chez la personne qu'ils se décidaient à fréquenter, attendant toujours quelque chose en retour de leur prétendue affection. Oh certes l'année passé il avait eut quelques vagues rapports avec certains élèves, mais il ne leur avait quasiment plus reparlé après le premier contact. Il fuyait les gens et leur hypocrisie massacrante.
Cette année encore il avait fait preuve d'une certaine... froideur, envers ses camarades , se contentant d'échanger quelques paroles plus nécessaire qu'autre chose... De toute façon il n'était pas venu dans cette école pour se faire des amis, et cela n'allait certainement pas changer.
Il n'y était pas non plus venu pour se faire presque insulter par un homme acariâtre qui semblait se considérer comme étant le nombril du monde_ alors qu'au final tous ce qui touchait de près ou de loin à un anthropomorphe n'était vraiment pas digne d'être dans ce monde... Et qu'importait le discours des théologiens là-dessus, et de tout ce que pouvait penser tout le monde: soi-disant si l'être était ici c'était qu'il y avait bien une raison, et que nul ne pouvait le nier...
Ce n'était, au final, que des paroles sans réels fondement, le genre de chose que les gens sortaient lorsqu'ils n'avaient plus la moindre certitude quant à l'intérêt de leur propre existence.

Il finit par lâcher une sorte de sifflement d'exaspération, tant à cause de ses pensées que d'un infirmier apparemment de mauvaise humeur, et lâcha d'une voix acerbe que s'il voulait plus d'informations que ce que l'élève parvenait à trouver il n'avait qu'à aller chercher quelqu'un d'autre ou le faire lui-même; de toute façon ne s'était-l donc pas attendu à ce que les élèves bâclassent leur travail? La plupart était tellement concentré sur leur propre nombril qu'ils en oubliait l'existence d'un monde extérieur, et les quelques rares qui ne l'était pas avait une fâcheuse tendance à trouver d'autres priorités. Lui-même ne considérait pas ces recherches comme la première des priorités; d'abord il essayait de comprendre ce qu'on leur enseignait, de mieux maîtriser son pouvoir aussi, vu que parfois encore des souvenirs parasites venaient le faire suer alors qu'il n'en avait vraiment pas besoin. Et enfin il allait se perdre dans la bibliothèque à la recherche des informations sur ses serpents. Mais il était également bon de se rappeler qu'il ne savait pas comment chercher dans une bibliothèque et que c'était la première dans laquelle il mettait les pieds; elle était si grande et contenait tant et tant de livres qu'il se perdait dedans_ au sens propre du terme.
Seule les informations concernant la bibliothèque n'avaient pas franchi ses lèvres, le reste s'étant écoulé naturellement en un flot de paroles acides. Peut-être qu'il allait le regretter, après tout le petit homme n'était vraiment pas quelqu'un doté de cette qualité appelée patience. Du moins, il ne l'était pas pour tout ce qui ne concernait pas ses travaux dont il ignorait la nature...

Le silence eut à peine le temps de s’installer que l’élève se mit à déverser un flot de paroles qui ne se termineraient sans doute jamais. On aurait pu lui décerner un prix, personne ne semblait être capable de l’égaler dans ses deux domaines : la flore et le sarcasme. Pousser à bout les autres, les faire sortir de leur gonds, les rendre incontrôlables était pour lui un jeu d’enfant, lui-même était un enfant, il s’amusait comme un fou. A chaque fois que l’un d’entre eux craquait son rire retentissait dans sa tête, sur son visage un sourire narquois apparaissait. Rabaisser les autres, se rendre détestable, les railler était son passe temps favori lorsqu’il se trouvait forcé d’être en leur compagnie. Tout le monde le savait et pourtant personne n’avait su quoi faire pour qu’il change, pour le rendre fréquentable. Seul son lunatisme pouvait le rendre un peu plus agréable voire presque aimable.

Il se souvenait de celui-là, il était venu déjà deux fois, comme tous ces jeunes il désirait plus que tout maîtriser son pouvoir, quel idiot ! Il n’avait jamais fondé d’espoir en lui, ça aurait été la preuve d’une naïveté qui ne pouvait exister, pourtant il ne pensait pas qu’il craquerait, pas si tôt, finalement il avait trop de talent pour faire tomber les masques. Dans ce jeu cruel on ne l’avait jamais dépassé, jamais son masque n’avait bougé d’un minuscule petit millimètre, si seulement ils comprenaient qu’il était le maître du jeu, si seulement ils voyaient comme lui peut être qu’ils auraient un peu plus de chance. Mais si on était doué d’une certaine perspicacité on pouvait presque s’en sortir indemne, avec la fierté touchée, l’égo froissé. Visiblement il n’avait pas compris et le temps avait eu raison de lui, le temps… n’était-ce pas son élément ? Comment pouvait-il vouloir maîtriser son pouvoir alors qu’il courait avec tant d’acharnement de l’autre côté ?

Le silence qui reprenait ses droits lui indiqua que la tirade était finie et que c’était à lui de lancer les dés, de tirer la carte chance et de répliquer. Il avait écouté distraitement, il ne faisait pas attention aux insultes qu’on lui décernait, il n’avait plus de place dans son joli tableau. S’il s’était retrouvé contre quelqu’un qu’il détestait particulièrement ou un homme aussi doué que lui il aurait répliqué point par point avec tout son talent pour le réduire au silence mais il était évident qu’ici c’était inutile. Il aurait très bien pu le renvoyer et l’élève se serait senti bête comme ses pieds d’avoir craqué si facilement et pour si peu mais il avait envie de jouer encore avec lui.
Il lui sourit avec toute la supériorité du monde.

« Je n’aurais pas dit mieux pour décrire votre faiblesse et celle de vos petits congénères. Où trouvez-vous donc l’utilité de courir sans savoir même où vous allez ? Vous perdez plus votre temps que le mien, mais heureusement pour vous ce sera peut être récupérable. »

Peut être. Il en doutait fortement, il serait sans doute assez stupide pour ne pas y arriver ou alors trop tard, tant mieux il n’avait pas du tout l’intention que cet imbécile change sa vie à cause de sa profonde lenteur. Dans ce cas là il n’hésiterait pas à lui en faire payer le prix.

« Soit vous êtes stupide, soit vous n’écoutez rien. Je pencherais pour les deux. A moins que vous ayez aussi le don d’ubiquité, ce dont je doute fortement, je vous rappelle que vous n’êtes pas un dieu et qu’il est impossible de tout faire à la fois. Il ne sert à rien de courir au hasard vous devez faire un choix, maintenant, sinon il sera trop tard. »

Son œil glacial s’était planté dans son regard et semblait ne pas vouloir bouger. Son ton ironique et rieur était devenu froid et acide. Il était sérieux à demi, même s’il le savait il était toujours consterné par ces incapables, quels dieux avaient pu créer de tels êtres ? Il fallait le voir pour le croire.

« Vous n’avez pas répondu à ma question alors je vous demande à nouveau une réponse, je ne le répéterais pas trois fois. »

Il lâcha ses mots avec la plus plate indifférence, ni mépris ni amitié n’avaient leur place dans ses paroles, il ne comptait pas le moins du monde l’influencer, c’était son choix à lui, qu’il refuse ne lui importait pas vraiment.

L'Ombre se tut. Il ne trouva rien à redire, écoutant avec un certain... détachement, les mots de l'infirmier. Il ne savait pas vraiment comment réagir de toute façon; l'infirmier avait raison, il ne pouvait le nier. Quand bien même le caractère de l'élève n'était pas très propice à ce qu'il acceptât facilement de telles paroles, il n'était pas stupide au point de ne pas voir qu'elles n'étaient en rien dénuées d'intérêt...
-Je sais.
Il ne trouvait rien d'autre à dire, et avait conscience que cela sonnait comme une preuve indéfectible de sa stupidité, pour l'infirmier. Mais il n'en avait cure.
-Je poursuivrai les recherches. Mais ne soyez pas pressé.
Puis l'Ombre songea à ce que venait de lui dire l'infirmier. Effectivement la tendance à s'éparpiller qu'il avait ne le mènerait pas bien loin. Il connaissait à peu près le champ d'action de son propre pouvoir, sans en avoir cerner encore avec précisions les limites. Mais il ne voulait pas cela. Les gens ne lui servaient pas vraiment à grand-chose, il ne voyait donc pas l'intérêt de chercher dans des souvenirs la vérité sur ses interlocuteurs. Tout au plus pour voir à quel genre de personne il pouvait avoir. Mais cela ne le menait pour le moment à rien du tout.
-Sauf si cela et urgent... auquel cas, il faudra vous rabattre sur quelqu'un d'autre. Mais personnellement je continuerai de faire ces recherches.
L'Ombre ne trouva rien à ajouter; il n'y avait rien à redire de toute façon. Il se sentait juste un peu fatigué. A croire qu'il avait fait un marathon... ce qui était loin d'être le cas. Cet état l'irrita donc quelque peu, et il se demanda si à chaque fois qu'il devait un peu hausser la voix il devait finir dans un état d'épuisement mental qui n'avait pourtant absolument pas lieu d'être. C'était une chose qui l'agaçait vraiment, d'être ainsi pris de faiblesse sans raison apparente.
-Je vais y aller. Je n'ai plus rien à faire ici aujourd'hui, à moins que vous ayez certaines choses à me signaler.
Il se dirigea vers la porte et posa la main sur la poignée, tout en attendant les mots de l'infirmier; il se doutait cependant que ce petit homme n'aurait rien de plus à ajouter, ou alors ce serait quelques uns de ces sarcasmes dont il avait le secret.

Incurable. C’était le mot parfait pour caractériser cet énergumène qui n’écoutait ou ne comprenait décidément rien. Evidemment il avait vu pire que ça, c’était toujours possible de trouver pire, par contre le mieux avait tendance à se faire rare en ce moment. Il fallait croire que soit les nouvelles générations naissaient sans intelligence, soit leurs parents n’étaient pas capables de leur apprendre quoi que ce soit les privant donc de toute possibilité d’intelligence future, soit les deux. Le petit homme penchait sérieusement pour la troisième hypothèse, en devenant adultes les hommes restaient malheureusement aussi stupides qu’ils l’étaient auparavant. Ce qui impliquait une autre conséquence : celle que l’humanité serait bornée à la même stupidité jusqu’à l’extinction de tout être vivant. Avec un peu de chance les dieux feront mieux la prochaine fois, on pouvait considérer ceux là comme des tentatives ratées, des brouillons.

L’infirmier s’était muré dans un silence froid et borné, il regarda avec hauteur l’élève lui raconter qu’il ferait des recherches avant de lui lancer un sourire plein de morgue et d’une impertinence totale pour finalement détourner complètement son attention. Il tourna la tête pour regarder ce qui se passait dehors. A première vue calme plat, seules quelques feuilles rousses prématurées dansaient avec grâce dans les airs. Et là deux qui se mirent à courir comme des gosses… Il n’y avait plus de doute, l’invasion des esprits supérieurs était arrivée.
Si les choses continuaient ainsi il allait être contraint d’inventer une plante, n’importe quoi capable de ramener à la raison les hommes et les tirer de leur bêtise et de leur ignorance.

Au bord du désespoir il ne pensait qu’à se remonter le moral en poursuivant l’expérience tout à fait passionnante qu’il avait considérablement avancé dans la matinée. A première vue il ne ressemblait plus à une luciole ce qui voulait dire que l’effet secondaire était temporaire ou que la durée de la potion était bien trop courte et qu’il allait devoir rajouter d’autres ingrédients pour améliorer ce défaut. Dans tout les cas il en avait bien pour une bonne semaine pour en finir avec les effets indésirable, avec un peu de chance on ne le dérangerait pas trop et il pourrait avancer plus vite mais il n’y comptait pas vraiment. C’était toujours quand il effectuait un travail important, qui demandait précision et concentration que les élèves se blessaient en masse et avec des cours comme ceux de vols, les fractures, entorses et compagnie iraient bon train.
Soudain il se rappela que l’autre était toujours dans la salle et qu’il n’avait même pas écouté la moitié de ce qu’il avait dit, ce ne devait pas être plus important que tout ce qu’il lui avait sorti au cours de sa visite et il n’avait plus le moindre intérêt à se concentrer là-dessus. Il savait pertinemment depuis le début qu’il ne lui servirait qu’à débroussailler et non à lui apporter de réelles connaissances. Après tout si on pouvait émettre l’hypothèse qu’il existe encore des élèves travailleurs et doués ils ne devaient pas se blesser tous les quatre matins, il n’y avait que les pires paresseux ou casse-cou pour être capable de lui rendre visite plusieurs fois dans la semaine. Ou bien ces espèces de masochistes qui devaient aimer ses insultes et se faire humilier. Pourtant il n’était pas vraiment convaincu qu’il faille de tout pour faire un monde.

« Oui, si vous le dites. Tachez déjà de mettre votre bêtise là où vous avez caché votre intelligence. »

Sans attendre une éventuelle réponse il retourna s’asseoir à son bureau, ouvrit son grimoire et chercha la dernière page où il avait noté tout ce qui concernait Dajan. Il prit sa plume pour noter différentes informations et commentaires qui lui paraissaient pertinents ainsi que les rapides conclusions qu’il venait de faire. Il leva la tête pour voir si l’élève était parti ou s’il avait décidé d’élire domicile dans son infirmerie. Dans le deuxième cas ce serait avec une joie immense qu’il le virerait, il fallait dire qu’il était passé maître dans l’art des sourires narquois et des railleries blessantes.