Expérimentation [Libre]

Mardi 7 Septembre
7h00

L’atmosphère était calme dans la salle blanchâtre et un silence de mort y régnait, il était clair que l’année venait à peine de commencer car personne n’avait encore pénétré ici.
Il flottait dans l’air une violente odeur d’alcool et de désinfectant qui piquerait le nez du premier venu, déjà découragé par l’aspect maladif des lieux. La pièce ne ressemblait pas à une morgue mais comme toute bonne infirmerie la décoration manquait cruellement, les murs et le plafond, peints en blancs ainsi que le sol dans les mêmes tons ne donnaient pas la gaieté recherchée aux visiteurs. Et malgré la forte luminosité qui envahissait la pièce grâce aux nombreuses fenêtres et la vastitude du lieu, rien ne pouvait empêcher un sentiment de mal être s’installer au fond de soi.

Plus loin, après plusieurs rangées de lits et des étagères placées par-ci par-là qui constituaient la majorité du mobilier de l’infirmerie, se trouvait un imposant bureau en chêne massif. Des feuilles de papiers ainsi que plusieurs livres étaient parfaitement alignés et plusieurs bougies entamées avaient été placées de manière à travailler lorsque le soleil en fin de journée n’éclairait plus assez. Sur le coin supérieur droit reposait tout autre chose : un long corps écailleux, d’un blanc laiteux s’était enroulé et ne bougeait pas d’un poil. A première vue il semblait que ce soit un serpent d’une taille plutôt impressionnante, sa tête était cachée et on n’aurait su dire de quelle espèce il s’agissait.

Des pas se firent entendre et un petit homme s’avança, un grand pot contenant plusieurs plantes entre ses mains. Si l’on n’avait pas aperçu son visage d’adulte, son mètre trente aurait fait croire à un jeune enfant.
Son visage était fin et lisse, entièrement dénué d’expression comme s’il était celui d’une statue. Sa pâleur à la limite du blafard rappelait aussi cette image et seule la glace perçante de son regard redonnait un peu de vie à cette être. Mais en fin de compte on ne l’apercevait que rarement, caché entre les longues mèches noires et blanches de ses cheveux qui retombaient sur son visage. C’était peut être mieux comme ça car son regard lui-même était source de dérangement, le bleu au fond de ses yeux brillait d’une étrange lumière qui donnait froid dans le dos.
Il avait revêtu aujourd’hui un simple pantalon et une chemise de lin brun, recouverte par une blouse blanche en coton similaire à ces hommes modernes qu’on appelait « scientifiques ».

Arrivé jusqu’à son bureau il posa le pot sur l’emplacement qu’il avait dégagé pour l’occasion et sortit une serviette pour essuyer les morceaux de terre qui étaient tombés sur la table sous l’effet du choc.
Une fois la table à nouveau propre, il s’assit en passant la main sur la peau écailleuse du reptile endormi. Le geste avait paru affectueux et venant de cet étrange personnage il paraissait comme surprenant. Il ne dura qu’un instant, un sifflement retentit, faisant naître un sourire narquois sur les lèvres de l’infirmier.

Son attention revint sur le pot aux plantes et il commença à détacher une à une les feuilles des différentes plantes pour les mettre dans un autre récipient. Il s’arrêta lorsqu’il lui sembla en avoir en quantité suffisante et remmena le pot d’où il venait, dans une pièce à part de l’infirmerie qu’il avait pu avec l’autorisation de l’administration transformer en serre. C’était aussi la pièce où il appréciait le plus de vivre, parmi les plantes il se sentait dans son élément plutôt que dans sa chambre située dans l’observatoire, trop éloignée de la terre, trop de luxe et de confort pour lui qui avait passé toute sa vie dans la plus stricte ascèse.
Son renfermement sur lui-même, son mode de vie trop différent avait progressivement fait de lui un homme acariâtre et misanthrope.

Il retourna à son bureau avec dans ses mains un vieux grimoire qui fermait à clef. Même s’il avait glissé au fil du temps un nombre de feuilles conséquent à l’intérieur aucune ne dépassait et malgré sa vétusté il avait été parfaitement conservé, seule la manière dont il avait été fait prouvait qu’il avait plusieurs centaines d’années.
Il le posa délicatement, enleva la chaîne autour de son cou d’où pendait une clef pour l’ouvrir et le feuilleta rapidement pour arriver à la page qui l’intéressait. La langue propre au petit peuple, disparue depuis des siècles… Il avait mis des années à l’apprendre et c’était un atout pour lui, rares étaient ceux qui s’en souvenaient, désormais tous les ouvrages avaient été traduits dans la langue commune et personne ici ne saurait lire ce qu’il écrivait dans son livre.

Il avança ses mains au dessus du récipient qui contenait les feuilles, celles-ci s’élevèrent légèrement et on pouvait apercevoir un filament vert se détacher des végétaux pour parvenir à quelques millimètres de ses mains, formant une petite boule d’énergie.
Concentré par l’expérimentation qu’il faisait, seul Siffrit se rendit compte que la porte de l’infirmerie venait de s’ouvrir et siffla violemment pour avertir son maître du danger imminent.

L’énergie des diverses plantes qu’il avait peu à peu amenée à se mélanger se sépara soudainement pour revenir à sa source primaire. Agacé qu’on ait pu l’interrompre, il leva brusquement un regard glacial en direction de la porte tout en lançant un « Qui va là ? » sec et désagréable.

Årghann était particulièrement excédé ce matin-là en raison d'un problème qu'il avait totalement oublié depuis la fin de la première année d'école: les ronflements. Ce bruit, tout simplement atroce à ses oreilles, l'avait empêché de dormir une bonne partie de la nuit. Et lorsqu'enfin il avait trouvé le sommeil, de nombreux cauchemars avaient décidé de le hanter, lui rendant tout sommeil impossible.

Alors il s'était levé extrêmement tôt, avait pris son sac, son oeuf qu'il cala à l'intérieur lui et était sorti passer ses nerfs dans le parc.
Mal lui en avait pris; il avait décidé de s'entraîner avec sa dague, et naturellement, lui qui n'était pas très habile une arme à la main avait manqué se la faire tomber sur le pied, et c'est en tentant de la rattraper qu'il s'ouvrit le bras sur près de trente centimètres. Il pesta, jura, et chercha dans ses affaires un morceau de tissu, ou n'importe quoi d'autre qui aurait pu stopper le saignement. Ce qu'il ne trouva naturellement pas.
Finalement il dut se résigner à retourner dans le château, à la recherche de l'infirmerie. Qu'il mit du temps à trouver, parce qu'il n'avait jusqu'alors jamais eu besoin de s'y rendre.
Résultat, il était d'une humeur massacrante lorsqu'enfin il trouva la porte d'entrée de l'infirmerie.
Il fut aussitôt assailli par l'odeur entêtante de l'alcool et du désinfectant, ce qui lui fit faire la moue. L'une des raisons pour lesquelles il n'aimait pas les infirmeries étaient bien pour ces odeurs qui faisaient tourner la tête, ralentissant la vitesse d'exécution des raisonnements. Cette journée commence donc bien mal, maugréa-t-il en son for intérieur avant de frapper et d'entendre une voix lui demander "Qui va là?"
Årghann fut surprit par l'intonation de la voix de l'infirmier: sèche et cassante. Tout le contraire d'un infirmier ou d'une infirmière "classique", ceux qui avaient le don de l'exaspérer au plus haut point avec leur ton condescendant et leur regard plein de compassion qu'il jugeait le plus souvent sur-joués.

Årghann Mantel, élève de seconde année.

L'Ombre pénétra dans l'infirmerie, et fut encore plus surpris par l'aspect plutôt atypique de l'infirmier, et encore plus par le serpent de taille monstrueuse posé sur le bureau. Cet homme était plutôt intimidant, pour un infirmier et Årghann, ne sachant déjà pas comment s'y prendre avec une personne "normale", eut encore plus de mal pour trouver le moyen d'aborder le sujet de sa blessure, qu'il s'était faite de manière stupide, en plus.

He bien... J'ai... besoin de vos soins. fit-il en lui montrant sa plaie.

Non seulement l’individu venait d’interrompre son expérimentation mais il allait devoir tout recommencer, comme s’il avait du temps et de l’énergie à gaspiller. Le temps qui passait ne le dérangeait aucunement mais qu’il passe sans qu’il fasse quoi que ce soit d’utile l’agaçait profondément.
Son irritation augmenta lorsqu’il consulta la grande horloge, non loin de la porte, pour s’apercevoir que l’heure était encore plutôt matinale pour les habitants de l’école. Les cours n’avaient même pas encore commencés que ces stupides élèves commençaient déjà à se blesser. Il avait oublié à quel point les habitants de cette planète pouvaient passer leur temps à déranger ceux qui travaillaient.

Quand il entendit les premières paroles du jeune homme il jeta un coup d’œil sur lui ne prenant pas la peine de l’observer avant de retourner à ses occupations.
Il s’apprêtait à reprendre son travail qui consistait à mélanger l’énergie de plusieurs plantes pour augmenter la puissance curative de celles-ci voire la transformer pour guérir plus efficacement diverses maladies et blessures. Il s’agissait d’un travail précis qui nécessitait la plus grande concentration sous peine de perdre le contrôle de l’énergie florale et de ne pas arriver aux effets escomptés. Il savait que son élément ne permettait pas l’erreur, une once d’énergie de trop et cela pouvait être fatal.

On ne lui laissa pas le temps de reprendre : l’élève dont il avait oublié le nom était blessé, ce qui lui paraissait évident, une visite de courtoisie l’aurait poussé à l’expédier dans la seconde hors de l’infirmerie.
Il posa un instant son regard sur la plaie de l’élève : une longue coupure d’environ trente centimètres sur son avant bras. Nul doute qu’il s’était amusé à jouer avec des couteaux et que, dans son incapacité totale, évidemment il s’était coupé. Au moins il n’était pas venu pour une bricole même s’il n’aurait aucun mal à le remettre en état.

« Bien, asseyez vous sur un lit, il va falloir recoudre. »

Son ton avait perdu sa sécheresse au profit d’un calme et d’une indifférence totale. Il y avait bien longtemps qu’il n’avait plus de contact avec le reste du monde et cela avait joué sur sa patience.
Il se dirigea dans sa nouvelle serre où il entreposait aussi la plupart de son matériel médical autre que floral. Il ne possédait pas grand-chose car il n’aimait pas beaucoup s’en servir, considérant que les plantes alliées à ses pouvoirs pouvaient guérir tous les fléaux de ce monde.

Il le prouverait d’ailleurs, même si cela devait lui prendre toute sa vie il était prêt à la sacrifier pour ce mérite, la célébrité était bien le meilleur moyen d’atteindre l’immortalité à ses yeux. Mais il faudrait publier ses travaux, ce qui ne le réjouissait pas du tout.
Une pensée vint soudainement interrompre ses rêves de gloire : en abandonnant l’élève seul il s’était aperçu que Siffrit avait fini sa sieste et le regardait d’un air plutôt intéressé.

« Au fait, cria-t-il, si Siffrit, mon serpent, s’approche de vous hurlez, sinon je ne pourrais rien faire pour vous ! »

Il sourit de manière sarcastique, s’il réussissait à effrayer celui là il ne le reverrait pas avant un bon moment, au moins ferait-il plus attention à ses faits et gestes. C’était pour lui le but premier d’un infirmier ou d’une personne s’occupant de la médecine, s’arranger par tous les moyens que chacun fasse plus attention à sa santé. Mais pour lui il c’était aussi la meilleure méthode pour qu’on lui fiche la paix. Il attendait des cas rares, quelque chose d’intéressant et non tous les maladroits qui passeraient l’année à se tailler en morceaux.

Recoudre... Årghann n'en avait absolument pas envie, et se demanda s'il n'y avait pas un moyen beaucoup plus simple que de passer par du fil et une aiguille. Non pas que cela l'effrayait outre-mesure, du moins n'avait-il pas ce sentiment désagréable qu'ont certaines personnes à la vue des aiguilles. Cependant, il n'avait pas du tout la volonté de subir cette opération, totalement inédite pour lui.
Mais ce n'était pas son principal soucis en ce moment-même. Il devait jongler entre resserrer la bride à son mental, qui prenait un malin plaisir à le tourmenter de visions dont il n'avait rien à faire, de brides de passés qui n'avaient pas le moindre rapport avec lui, et l'envie plus que tentante de propulser son esprit dans un futur proche, histoire de sauter ce passage et de ne pas avoir à subir quelque chose qu'il ne souhaitait pas vivre; de toute façon même s'il faisait cela il devrait, à un moment ou à un autre, revenir dans le Temps présent et ne pas se perdre dans les limbes temporelles, ce qui pouvait lui arriver à tout moment si jamais, pour une raison ou pour une autre, il lui prenait l'envie d'aller trop loin dans le futur.

L'infirmier partit dans l'une de ses serres pour probablement aller chercher quelque chose, et signala à l'Ombre qu'il devait crier si jamais le serpent, nommé Siffrit, s'intéressait de trop près à lui. Ce qu'Årghann rangea bien au chaud dans un coin de sa tête, considérant l'animal et sa taille plutôt impressionnante.
L'élève nota aussi le ton employé par l'infirmier. Du sarcasme comme il en entendait rarement, en voilà un qui ne cherchait pas du tout à se montrer aimable, ni à cacher le fait que les autres l'importunaient qu'autre chose. Cela le fit intérieurement sourire, ce type de personnes ne courant pas les rues.

N'y a-t-il pas un autre moyen pour s'occuper de cette foutue blessure?

Årghann venait de poser cette question en imaginant plutôt bien la réponse de son interlocuteur. Mais il préférait tout de même s'en assurer, histoire de vérifier si il pouvait encore y échapper...

Suites à ses dernières paroles le dénommé Siffrit siffla violemment tout en fixant de ses yeux vitreux la proie facile qu’était le jeune homme. Le langage de sifflements qu’ils utilisaient entre eux semblait témoigner de leur complicité et de leur goût pour la moquerie. Mais on n’aurait trop su dire s’ils ne faisaient que plaisanter ou si leurs faits et gestes étaient de véritables piques, persifleuses et cruelles.
Seule pourtant la tête du serpent bougeait, sans doute amusé d’effrayer les fréquentations de son maître.

En pensant à son reptile il se rappela qu’il avait prévu de faire des recherches sur le venin de celui-ci et se demandait s’il aurait réellement du temps pour cela. Le métier d’infirmier ne se faisait pas à mi-temps et il se devait d’être présent dans l’infirmerie chaque jour, surtout que cette première visite lui avait prouvé qu’on ne lui laisserait décidément aucun repos ni même le temps de travailler correctement. S’il ne tombait pas sur des cas rares il allait finir par perdre son temps à soigner la bêtise de ces ignorants

Dans la serre retentirent des tintements de verres qui s’entrechoquaient ainsi que d’autres bruits divers et variés. Il y resta de longues minutes le temps de choisir les plantes nécessaires pour préparer ses remèdes et d’augmenter volontairement l’attente de l’élève, un peu de patience ne lui ferait pas de mal.
Il avait ignoré sa question pendant ce temps là et n’y répondit qu’en sortant, dans ses mains un verre rempli d’un liquide verdâtre et dans l’autre un formulaire, derrière lui plusieurs végétaux le suivaient en flottant dans l’air, une curieuse lueur verte se dégageant d’eux.

« Bien sûr que si, je laisse ce genre de travail aux bouchers. Si la magie existe ce n’est pas pour rien et puis recoudre laisse des cicatrices, infimes certes mais elles ne disparaîtront pas. »

Il ne montra rien de ce qu’il pensait ni de ce qu’il allait lui faire, il avait sans doute déjà deviné qu’il ne lui ferait pas de cadeaux mais il ne savait sûrement pas à quel point.

Il franchissait lentement la distance qui le séparait de l’élève, ne tenant pas à se presser, de toute manière sa petite taille ne l’avantageait pas beaucoup de ce côté-là.
Lorsqu’il fut à sa hauteur, il lui tendit le verre : à l’intérieur flottait des morceaux de végétaux dans un liquide vert foncé, on aurait dit que ce qu’il y avait dedans était composé de moisi. Il s’agissait d’un mélange de sédatifs, principalement du crateagus mais il avait aussi rajouté spécialement de l’anerathum, réputé uniquement pour son goût exécrable.

« Buvez ça et ne bronchez pas. »

Il ne laissa aucune place à d’éventuelles protestations et mit le verre dans sa main.
Sans perdre de temps il leva la main pour que les plantes flottantes se posent sur la table située juste à côté du lit et commença la préparation. Il n’avait même pas besoin de se dépêcher, le temps que celui-ci se décide à avaler la mixture il aurait sans doute déjà fini.

Il avait amené avec lui plusieurs sortes d’antiseptiques ainsi que des vulnéraires à effet immédiat et différé. Il connaissait parfaitement les plantes et avait constaté à de nombreuses reprises à quel point une bonne alliance de ces plantes et un bon procédé pouvait les rendre efficaces pour ce genre de blessure. Il s’agissait même de plantes faciles à cultiver et qui poussaient un peu partout, c’était un jeu d’enfant, même pour ces petits alchimistes.

Il plaça avec la rapidité dû à l’habitude des racines dans une coupelle avec plusieurs feuilles, des tiges avec d’autres feuilles et ainsi de suite, écrasant certains végétaux pour en faire un cataplasme tandis qu’il laissait les autres intactes. Lorsqu’il termina il leva les yeux sur l’élève pour voir s’il l’avait finalement bu cette mixture ou s’il allait devoir s’y prendre par la force. Si déjà il n’avait pas tourné de l’œil c’était un bon point.

Le temps qu'il perdait à attendre que l'infirmier daignât revenir était effarant, et il commençait à se sentir comme un lion en cage, enfermé dans cette pièce sentant l'alcool et le désinfectant à plein nez.
Il en avait plus qu'assez de perdre ainsi son temps, pour une blessure qu'il jugeait plus que superficielle; il n'aurait jamais dû venir en ces lieux, il n'aurait qu'à vivre avec la marque laissée par la blessure, si marque il y aurait eu.
Il était aussi mal à l'aise à cause du serpent qui bougeait la tête, le regardant de ses yeux propres aux reptiles, ayant visiblement des pensées qui ne plairaient pas à l'Ombre, ci celui-ci parvenait à comprendre un jour le langage des serpent.
Finalement, Årghann décida de s'exercer un peu avec son pouvoir, et d'occulter complètement l'endroit où il se trouvait actuellement. C'était une manière comme une autre qu'il avait mis en oeuvre pour passer le temps; une méthode qu'il n'employait cependant guère, à cause de l'importante perte d'énergie qu'elle générait. Mais au moins, elle avait le mérite de se rendre utile...

Il ferma d'abord les yeux, se concentrant sur ses propres souvenirs, occultant les quelques rares qui ne lui appartenaient pas et qui avaient trouvé moyen de se faire une place parmi les siens, et, d'une certaine manière, abandonna la dimension temporelle dans laquelle il se trouvait initialement pour laisser son esprit vagabonder parmi les milliards et les milliards de dimensions constituées d'un instant, d'un soupir, qu'un rien pouvait ébranler et faire disparaître à jamais. Il entr'aperçut ainsi le banquet de la veille, et vit les quatre fondateurs entamer leur discours.
Il vit aussi une jeune fille, une Vampire en fait, lui parler tranquillement, sans chercher à comprendre ce qu'il était, et surtout, pourquoi il l'était.
Quelque part, au loin, la présence d'une jeune fille aux cheveux bleus ne l'interpela guère, ainsi que celle d'une autre personne, plus âgée apparemment.
Dans sa tête passé et futur se mêlaient, ne faisant plus qu'une sorte de toile immense, ingérable et pouvant rendre fou quiconque n'était pas préparé à une telle chose. Mais Årghann avait à présent dix-huit ans derrière lui, et commençait à mieux comprendre ces Univers étranges qu'il ne parvenait à atteindre qu'avec son esprit, pour le moment du moins. Peut-être qu'un jour il pourrait voyager dans les diverses époques existant en même temps, peut-être pourrait-il franchir ce voile si fin, et pourtant si opaque, qui le séparait de tous les autres instants. Mais pour parvenir à un tel niveau, il lui faudrait déjà, de une, comprendre le fonctionnement exact de cette toile, la décrypter, et non plus se laisser uniquement bercer par les différentes choses perçues. De deux, il lui faudrait acquérir suffisamment de maîtrise à la fois de son pouvoir et de son propre corps, s'il voulait éviter tout problème qui pourrait survenir physiquement en voyageant ainsi.

Son voyage spirituel fut brutalement interrompu par l'arrivée, plus qu'inopportune, de l'infirmier, qui lui signala que la couture était plutôt, de son point de vue, réservée aux bouchers.
Årghann mit du temps à reprendre ses esprits, et il fut presque surprit de se retrouver avec un verre en main, plein d'un liquide qui avait de quoi rebuter tout être quelque peu sain d'esprit. Il fit la moue quand le petit homme lui ordonna de boire, mais s'exécuta sans broncher. Il crut qu'il allait vomir: non seulement le goût était tout simplement infect, mais en plus le liquide était épais et âpre, ce qui donnait un mélange des plus... infâmes.

Je suis sûre que même les Orcs n'en voudraient pas..., signala-t-il en posant le verre sur la table et en attendant de voir ce que l'infirmier avait encore prévu de lui faire avaler.

Il fut satisfait de voir que l’élève avait bu sa mixture même si évidemment la jeunesse était réputée pour toujours lancer son petit point de vue personnel avec la plus grande certitude sans toutefois ne rien savoir. Au moins celui-ci faisait preuve d’obéissance et il pouvait réellement finir de le soigner et ne pas perdre une nouvelle fois plus de temps que ce n’était déjà fait.

« Détrompez vous, ces créatures ont si mauvais goût qu’elles l’ont trouvée bonne ! Et puis son efficacité est incontestable, elle purifie même le corps ! »

Il attrapa sans aucune précaution son bras pour le rapprocher de lui puis étala le cataplasme, une pâte verdâtre, sur toute la longueur de la blessure.

« Je bois chaque matin une infusion de plantes du même genre et je ne suis jamais malade, ma peau elle-même n’a aucune imperfection ! »

Il regarda l’élève tandis qu’il continuait d’étaler la pâte sur son bras, sans espoir que celui-ci le croirait, après tout la sagesse ne s’acquiert qu’au fil de longues années d’expérience et de remises en question. Lui-même était loin d’avoir atteint une grande sagesse, il n’avait su qu’oublier sa vie, il avait déjà perdu trop d’années et Dieu seul savait quand sa fin arriverait.
Avant de passer à l’étape suivante, la pâte qu’il lui restait sur les mains s’enfonça pour disparaître dans sa peau puis il dirigea ses mains vers les coupelles qui contenaient tiges, racines et feuilles intactes. L’énergie des plantes sortit alors de son enveloppe matérielle, sous la forme de lueurs vertes de différentes couleurs. Ces énergies se mêlèrent alors formant une lueur d’un vert fluorescent.

« Ce sera peut être douloureux si votre corps résiste à l’énergie florale ! » Dit-il sans perdre le ton gai qu’il adoptait en fait assez souvent, lui donnant une réputation d’être un homme méprisant et caustique.

Il se souvenait bien d’avoir à ses débuts sentit comme des épines plonger dans sa peau, la douleur pouvait être forte ou faible selon les personnes. Il ne ressentait plus rien désormais, son corps étant totalement habitué au pouvoir des plantes tant il avait fait et faisait toujours des expériences d’un risque plus ou moins élevé sur lui. Peut être qu’à sa mort il deviendrait à son tour plante.

Il envoya l’énergie des plantes sur le bras de l’élève, elle resta d’abord en surface avant de pénétrer petit à petit dans sa peau, le cataplasme s’évanouissant en même temps. Lorsque l’opération fut finie son bras était intact, comme si la coupure n’avait jamais existé, son expérience lui permettait même d’observer qu’il était sensiblement différent maintenant. Les plantes, comme tout autre élément venant de la terre mère avaient ce pouvoir particulier de changer les choses, de les rendre légèrement comme elles, comme si elles avaient une influence croissante sur les êtres vivants.
Mais sans doute l’élève ne s’en rendrait pas compte, il restait comme tous les autres, baigné dans sa stupide ignorance.

« Épelez moi votre nom. »

Il prit le formulaire qu’il avait amené ainsi qu’une plume qu’il trempa dans l’encre puis commença à écrire diverses informations qu’il voulait se rappeler sur l’élève. Il n’arrivait pas à se défaire de cette habitude de tout écrire sur tout mais sa mémoire défaillante l’obligeait à procéder de cette manière à l’exception de faits trop marquants. Après tout c’était de sa faute, il avait pendant un temps tout fait pour se défaire du passé et sa mémoire naturelle s’était envolée avec ses souvenirs. Aucun doute là-dessus, la méthode était plus qu’efficace.

Il allait peut être pouvoir reprendre son expérimentation, il dirigea alors son regard sur Siffrit qui dans son insolence avait quitté la table et s’était enroulé autour de ses pieds. Il remarqua que le reptile de taille assez conséquente semblait être intéressé par l’élève plus que pour un éventuel repas à sa tête légèrement penchée et son immobilité.

« Vous avez de la chance on dirait que Siffrit ne vous considère pas comme son futur casse-croûte ! »

Son léger sourire accentua l’amusement qui découlait de son ton jovial alors que le serpent se mit à siffler à plusieurs reprises.

« Me rendriez-vous un service ? »

Il était redevenu à moitié sérieux et son œil droit s’était planté dans celui de l’élève, attendant de voir s’il allait répondre affirmativement ou non.

Årghann n'arrivait pas à savoir s'il était surpris ou s'il s'attendait à une telle révélation. Boire une infusion du même type tous les matins? Il devait au moins y avoir un goût un peu plus... acceptable pour l'infirmier. Enfin...

Puis le petit homme lui prit son bras blessé sans douceur, et y appliqua une sorte de pâte verte étrange. L'Ombre grimaça, non parce que cela lui faisait mal, mais plutôt parce qu'il n'aimait pas du tout ce cataplasme, la texture était trop... étrange pour lui. D'un autre côté, il n'avait pas à se plaindre, déjà qu'on daignât le soigner pour une blessure aussi anodine était plutôt bien. Au moins, la prochaine fois, il savait où ne pas revenir, quand bien même il se casserait la jambe ou pire...

Il aperçut soudain des lueurs vertes provenant des plantes, ce qui le surprit. Il n'avait jamais assisté à un tel phénomène, et ne savait absolument pas ce qu'était ces lueurs, à tel point qu'il voulut le demander à l'infirmier, mais au moment de poser sa question il fut interrompu par l'homme qui lui dit, d'un ton plutôt joyeux, en totale contradiction avec ses paroles en fait, que cela ferait peut-être mal. Årghann maugréa intérieurement, avec pour principal sujet le fait d'avoir été prévenu aussi... en avance; l'espèce de lumière verte lui rentrait déjà dans la peau lui faisait un mal de chien, une douleur qu'il supportait difficilement, à vrai dire. Comme si un imbécile s'était amusé à enfoncer violemment quelques aiguilles dans sa plaie. Il eut un drôle de sourire en pensant aux aiguilles. L'infirmier avait dit qu'il laissait cela aux bouchers mais... Vu les effets secondaires indésirables de sa magie, on aurait tout aussi bien pu assimiler cet homme à un boucher... Le côté: désagréable et associable en plus.

La douleur se calma enfin, et l'Ombre regarda avec surprise son bras, qui ne présentait pas la moindre marque, comme s'il n'y avait jamais eu d'entaille. A vrai dire, il avait même l'impression qu'il était comme neuf, plus la moindre marque quelconque ne paraissait être visible.
Il se dit que cet homme n'était peut-être pas le meilleur d'un point de vue purement émotionnel_ en même temps, il ne considérait pas beaucoup de monde comme étant des personnes que l'on pourrait qualifier ne serait-ce que d'à peu près intéressantes_ mais il avait au moins le mérite de connaître son métier, et de le faire bien. Ce qui lui suffisait: parfois, certaines personnes avaient l'audace de se considérer comme étant médecin, ou n'importe quoi d'autre dans la même branche, alors qu'au final elles étaient bien incapable de soigner une maladie quelconque, mais bénigne.

Årghann donna les renseignements voulu par le petit homme, tout en se demandant si le fait de sentir son bras "comme neuf" n'était qu'une simple impression où s'il y avait réellement eu du changement à ce niveau-là. Il se dit finalement que ce devait être son imagination, après tout, monsieur l'infirmier avait fait un soin pour tel type de blessure, et à moins qu'il n'y connaissait vraiment rien_ ce qui était un peu le cas..._ dans le domaine des plantes médicinales, il supposait que l'on ne pouvait pas utiliser les mêmes mélanges de plantes pour deux choses différentes, à un moment donné il y aurait forcément une plante qu'il faudrait remplacer...

Il sursauta presque lorsque l'homme lui annonça qu'il avait de la chance que le serpent dénommé Siffrit ne le considérait pas comme son casse-croûte.

Parce que pour lui, tout le monde est comestible?

Sa surprise s'accentua encore lorsque le serpent siffla à plusieurs reprises, et que l'homme parut le comprendre. D'un autre côté, il y avait bien des personnes qui comprenaient le langage d'autres animaux, alors pourquoi pas cet infirmier celui des serpents?

Me rendriez-vous un service ?

Ce coup-ci Årghann en fut vraiment étonné; il ne s'attendait absolument pas à une telle demande, mais alors pas du tout. Il considéra son interlocuteur, qui le dévisageait d'une drôle de façon. L'Ombre soutint son regard sans ciller, avant de déclarer:

Tout dépend du service, et du temps que cela me prendrait_ sauf si cela peut attendre ce soir, j'entends bien. Qu'est-ce donc?

Årghann n'avait pas usé de son ton glacial coutumier, plus intrigué qu'autre chose qu'il était. Mais il n'avait cependant pas fait montre d'amabilité; après tout, l'infirmier ne l'avait pas fait jusque là, alors pourquoi se gênerait-il pour tenter de masquer un tout petit peu son caractère plus que désagréable?

Comme tant bien d’autres avant lui, l’élève résistait aux plantes, sans doute qu’aucun être doué de raison ne savait être en harmonie avec la nature avant de le vouloir vraiment. Que l’homme ait un fond mauvais ne l’étonnait guère, si beaucoup de races étaient polyvalentes elles ne pouvaient toujours accepter la différence.
Il n’était pas surpris non plus de voir l’étonnement et l’incompréhension face aux soins qu’il prodiguait, même si l’expression changeait toujours le fond était le même.

Il n’avait pas grande réputation ici et avait fini par croire que les médecins étaient souvent plus qu’incompétents, rares étaient ceux qui associaient leur élément aux soins, pourtant tout un monde s’ouvrait : infini et superbe.

Il gratta pendant plusieurs minutes après que l’élève lui ait épelé son nom, notant tous les faits qu’il avait pu remarquer, s’il le reverrait au moins pourrait-il avoir des informations et travailler plus précisément sur son cas. C’était la seule forme d’altruisme qu’il connaissait, si rien ne reliait son travail à une personne alors il ne pouvait avoir le moindre respect et vouait son temps à tourner les autres en ridicule. Sans doute son métier était ce qui le sauvait d’une misanthropie des plus totales, tant mieux pour les autres.

Il sourit avec plus d’intensité en le voyant sursauter, était-il si naïf pour croire que le serpent n’était pas dangereux alors qu’il l’avait prévenu en le laissant seul dans l’infirmerie ? Malheureusement pour le pauvre élève, Dunbraven n’était pas peuplé de gentils lutins ou d’autres niaiseries du genre.

« Siffrit est un serpent Aspic, s’il ne m’obéissait pas il aurait sans doute décimé une bonne partie de l’école avant qu’on ne l’arrête d’autant plus qu’il a une résistance naturelle à la magie ! On dit que ces serpents sont doués de cruautés car ils ne tuent pas uniquement pour se nourrir ! Mais cela ne devrait pas étonner un élève si fin et éclairé tel que vous ! »

Il fut au moins satisfait de voir qu’il avait la témérité d’affronter son regard, certains auraient prit cela pour de l’effronterie. Le ton pas plus aimable que le sien ne le choqua pas, chacun était bien libre de respecter ou non les autres, seules les sociétés pédantes et hypocrites aimaient porter de plus gros masques que les autres.
Il avait depuis longtemps arrêté de cacher son antipathie, son mépris et ses sarcasmes, si les autres ne l’appréciaient pas ils n’étaient pas obligés de le fréquenter. Seul son métier lui permettait d’avoir parfois plus d’emprise sur les autres qu’un manipulateur même s’il n’en tirait pas de fierté. Se servir des autres était pour lui aussi banal que se servir des plantes, si ça ne marchait pas il savait toujours trouver un moyen détourné pour arriver à ses fins.

Il n’avait pas particulièrement d’espoir que l’élève accepte, cela ne ferait que lui gagner du temps car il n’aurait sans doute pas la possibilité de sortir souvent de l’infirmerie. Il s’agissait tout de même d’une raison qui l’avait poussé à faire tant de chemin jusqu’ici et il serait frustré de devoir attendre toute une année surtout si celle-ci devait se passer dans l’ennui total. Une épidémie de grippe était sans doute ce qu’il redoutait le plus.

« Peut être que cela vous prendra du temps je ne saurais vous dire exactement. Je ne sais si vous avez entendu parler auparavant des Aspics et je vous expliquerais si cela vous intéresse, toutefois je n’aurais sans doute que peu de possibilités de sortir de l’infirmerie et donc de travailler là dessus. J’ai horreur qu’on fasse quelque chose pour moi mais encore plus de perdre du temps dans mon travail. Si vous le voulez bien faites ces recherches pour moi à la bibliothèque. »

Il marqua une pause, n’aimant pas parler trop longuement ni étaler sa vie personnelle devant le premier élève venu. Il ne le ferait de toute manière avec personne, le passé était une chose enfouie au fond de lui et qui n’appartenait qu’à lui seul.

« Bien sûr vous pouvez toujours demander une contrepartie. »

Il y avait des compétences dans lesquelles il n’était pas mauvais professeur et s’il ne montrait jamais sa passion pour le travail par un relâchement de son contrôle de soi et une accumulation d’émotions on pouvait le deviner dans ses paroles ou dans son acharnement au travail.
Il attendait la réponse de l’élève en sachant pertinemment qu’en lui proposant ses services il pourrait l’intéresser. Lui-même avait à de nombreuses reprises eut besoin d’aide et les marchés de ce genre lui convenaient tout à fait à tel point qu’il ne donnait aucune valeur à l’argent, entassant les pièces jusqu’à être dans l’obligation de payer avec.

S'il ne s'agissait que de cela, Årghann n'aurait aucun problème; certes il ne passait pas énormément de temps dans la bibliothèque, préférant le perdre dehors, à essayer de mieux cerner son propre pouvoir, et à oublier la présence des autres élèves, qui l'agaçait le plus souvent. Il ne voyait donc pas de contre-indication, de plus cela pourrait le renseigner sur ces serpents plutôt... impressionnants, il n'y avait pas à dire.

Cela ne me pose pas de problème, à vrai dire, alors je ferais ça dans mes heures creuses. Il vous faudra juste être patient.

En effet l'Ombre ne comptait pas passer la totalité de son temps dans la bibliothèque pour épuiser le sujet des Aspics; il resterait trop longtemps enfermé et son humeur se dégraderait de plus en plus, jusqu'à le rendre insupportable.
Par contre, l'infirmier lui avait parlé de service en retour. Voilà qui était intéressant mais Årghann maquait cruellement d'idée à ce sujet. Il jugea bon alors de lui préciser qu'il lui demanderait bien quelque chose lorsqu'il aurait une idée.

Vous comptez utiliser les informations récoltées sur la race de votre serpent pour en tirer quelque chose dans votre profession?

Årghann se demandait vraiment en quoi cela pourrait être utile, mais après tout cela ne le regardait en rien, tout au plus pour essayer de mieux cerner son interlocuteur; mais pour cela il préférait encore utiliser son pouvoir et en apprendre plus que certaines personnes n'en sauraient jamais, même si cela ne l'intéressait en réalité pas outre-mesure.

Au fait, pendant que j'y pense, est-ce que vous avez un point particulier à éclaircir, ou ce sont des recherches en générales, et donc avec tout un tas d'informations qui ne seront absolument pas triées, et que pour la plupart vous connaîtrez déjà?

L'une des choses qui agaçait l'Ombre était de chercher quelque chose sans savoir par où commencer; il pouvait y avoir tant et tant d'informations sur un sujet quelconque, parfois ces informations-là étaient des plus invraisemblables, d'autres fois, elles ne faisaient que le paraître, il fallait alors faire le tri, essayer de démêler tant bien que mal le vrai du faux, et organiser les données accumulées pour avoir un semblant de cohérence dans tout cela. C'était donc loin d'être son fort...
Bon, après, bien sûr, si le sujet le passionnait vraiment, il pouvait alors consentir à faire un effort et à chercher tout cela avec plus de sérieux que de coutume.

L'Ombre se leva et fit quelques pas, déjà excédé de rester entre ces quatre murs_ surtout que l'heure des cours approchait rapidement..._ tout en attendant plus de précisions de la part du petit homme.

Le petit homme fut satisfait de la réponse de l’élève, au moins ne perdrait-il pas complètement cette année là.

En demandant une telle faveur il savait qu’il devrait revoir souvent cet élève mais maintenant qu’il s’intéressait un peu plus à lui il avait l’air de n’être pas trop curieux et assez introverti pour qu’il lui fiche la paix.
De toute manière s’il s’attendait à autre chose il serait très clair sur ce point, il n’aimait personne et considérait l’amitié comme une stupidité première. C’était comme l’amour, ce sentiment ne devait exister que pour perdre les hommes en leur faisant connaître le bonheur tel un mirage.
Lui n’avait jamais connu l’amour et s’en portait très bien.

« Je pense que d’ici la fin de l’année je devrais avoir toutes les informations que l’on peut trouver dans cette bibliothèque sur les Aspics, je suis quelqu’un de patient du moment que je vois une progression dans mon travail. »

Curieusement il se méfiait de l’élève, il n’était naturellement paranoïaque mais aimait tout de même savoir à qui avoir affaire. Même s’il avait un profond mépris pour tous ces gamins il n’oubliait pas qu’ils devaient tous avoir quelqu’un chose de particulier pour atterrir ici avec ou sans dragon.
Les monstres ailés… Il n’aurait pas aimé en posséder un, ces bêtes réclamaient trop d’amour et Siffrit était déjà bien assez insupportable par moments.

« J’ai plusieurs type de travail mais pas pour mon métier de médecin à proprement parler, pour cela je n’ai besoin que de mes plantes et de ma raison. »

Il n’était jamais bavard sur ses travaux, bien sûr l’élève n’allait pas être un espion de ses « confrères » mais il avait ses secrets et tenait à les garder. Seule à sa mort il ouvrirait ses travaux au public.

« J’ai déjà fait des recherches sur les Aspics, seulement dans de petites bibliothèques, rares sont les écrits dessus et même dans des villes universitaires il n’y a presque rien. Cette race est rare et peu connue. Même si je cherche des informations de toute sorte, disons que le venin Aspic même s’il en existe plusieurs sortes est à l’heure actuelle difficilement soignable, je cherche un antidote. Il serait préférable que vous vous concentriez déjà sur ce point avant que cet idiot n’ait plus toute sa tête et décide de s’attaquer aux humains. »

Il n’était pas toujours content de cette compagnie imposée et le serpent depuis leur rencontre lui vouait un culte. Son adoration était telle qu’il était le seul à savoir le mettre en colère ou lui faire perdre tout contrôle de lui-même. Mais le serpent n’était pas comme les autres et dans ces moments là toute sa magie n’avait servi à rien. Il était un élément de la nature.
Il ne se souvenait pas de leur rencontre, il naissait chaque jour déjà adulte sans souvenir de la veille, ses connaissances étaient le seul souvenir de sa vie, il ne l’avait jamais écrite et ne voulait pas d’histoire. Il ne savait ni vivre dans le passé ni vivre dans le futur.
Au moins n’était-il pas comme tous ceux-là, rattachés à un éternel passé meurtris par le poids des ans ou nostalgiques d’un glorieux événement.

Il remarqua à peine l’élève se lever avec le désir de sortir de la pièce à l’entêtante odeur. Elle lui était si familière qu’elle n’existait plus pour lui, il savait juste que c’était un bon moyen de faire fuir les élèves ou qu’ils ne reviennent pas.
Il regarda l’élève qui avait l’air d’attendre quelque chose de lui.

« Vous pouvez partir, je vous ai soigné non ? » Lança-t-il.

Qu’est ce qu’il voulait encore ? Les gamins avaient décidément voués leur vie à lui faire perdre son temps. Mais pourquoi donc était-il venu ici, n’était-il pas bien seul dans sa forêt avec pour seul compagnie les murmures de la flore et les sifflements de son odieux serpent ?

Un moment d'absence.
Årghann était resté planté devant la porte de sortie au moins cinq bonnes minutes, ayant à peine perçu ce que venait de lui dire l'infirmier.
Il était resté prisonnier d'un souvenir particulièrement fort et violent, où toutes sortes de sentiments se mêlaient, et où il était même l'acteur principal_ chose particulièrement rare compte tenu du fait que les souvenirs que conservaient les personnes étaient toujours atténués avec le temps...
Un souvenir où la haine se disputait au désir de vengeance.
Où la perte d'êtres chers étaient si douloureuses qu'Årghann eut beaucoup de mal à se fermer définitivement à ce souvenir qui ne lui appartenait absolument pas.

Une fois de retour dans la réalité, il jura à voix haute, ayant totalement oublié et où il se trouvait, et qu'il n'était pas seul; un sifflement du serpent impressionnant de l'infirmier le fit sursauter et se retourner vivement. Puis il se rappela. La blessure et la magie des plantes, douloureuses. Ainsi que le service demandé. Mais... quel service?
De nouveau il jura et chercha par tous les moyens à se rappeler de ce qui avait été dit précédemment. Mais il ne le pouvait tout simplement pas, son esprit ayant été fait momentanément prisonnier d'une dimension temporelle qui n'était sensé appartenir qu'à celui qui avait vécu cela. Mais voilà, son pouvoir lui donnait la possibilité de percer ses secrets, ces choses que la plupart des personnes taisaient par honte ou par impossibilité de parle aux autres.
Ce pouvoir, ou du moins cette particularité de son pouvoir, aurait été quelque chose d'intéressant s'il envisageait de faire une carrière d'historien, ou s'il se souciait des autres. Mais voilà, Årghann n'était intéressé par ni l'un ni l'autre. Seulement par les Dragons et le reste de son pouvoir, qu'il désirait apprendre à développer.

Finalement il observa le petit homme de façon ostentatoire, avant de déclarer, presqu'en colère: je suis désolé, mais je n'ai pas pu avoir les informations que vous m'avez transmises au sujet de ce que vous désirez. Alors si vous le voulez bien, vous pouvez répéter. Ou vous pouvez abandonner. A votre guise.

Il n’avait pas remarqué le regard stupide de l’élève alors qu’il parlait pour la toute bonne raison qu’il n’avait pas daigné poser son regard sur lui et lorsqu’il lui jetait de rares coups d’œil leurs yeux ne se croisaient pas. Ne le voyant pas partir il lui avait tout de même lancé un regard qui traduisait une pointe d’agacement.
Il n’avait pas l’air d’avoir compris qu’il venait de le congédier, ce gosse était décidément le dernier des imbéciles et des impertinents. Il avait rarement rencontré ce mélange mais il s’avérait qu’il lui tapait bien plus sur les nerfs que d’autres.

Siffrit réagit au premier juron de l’adolescent, irrité qu’on lui manque de respect. Il fallait bien dire que cet oiseau n’avait que ses sifflements stridents pour communiquer, s’il ne devenait pas sourd ce serait un miracle.
Il haussa un sourcil lorsqu’il jura derechef.

« Vous vous répétez je crois. » Lâcha-t-il avec sarcasme et hauteur.

Il allait presque lui ouvrir la porte au cas où il n’ait pas compris ses dernières paroles, ce sot lui avait fait assez perdre son temps – presque trois quart d’heure avaient passé – mais il choisit ce moment là pour s’exprimer.
C’était plutôt rare mais il faillit exploser de rire et ne dut sa contenance qu’à sa grande maîtrise. Au moins avait-il le mérite de le changer des tous ceux qu’il rencontrait, aussi plats et identiques les uns que les autres, avec celui là il pouvait s’adonner un peu plus que d’habitude à la dérision, sa seule véritable distraction.

« Mon Dieu ! Vous savez La Guerre des étoiles est complètement périmée de nos jours, vous pouvez vous exprimer de manière normale, personne ne se moquera si vous vous rabaissez au commun de nous autres pauvres mortels. » Railla-t-il.

Le serpent toujours lové autour de ses jambes avait brusquement resserré ses anneaux, jaloux que son maître porte toute son attention envers un sang chaud qu’il ne connaissait que depuis quelques instants.
L’infirmier siffla méchamment tout en se demandant ce dont il avait parlé avec l’autre, n’était-il pas venu pour qu’il le soigne ? Il regarda le formulaire qu’il tenait toujours dans une main :

« Årghann Mantel… blablabla... blessure au bras… blablabla… recherche sur les Aspics… »

Sa mémoire lui revint tout d’un coup et il se rappelait presque mot à mot ce qu’il avait dû lui dire avant que celui-ci ne sombre dans les méandres de ses pensées qui devaient être probablement d’une futilité à pleurer.

« Ecoutez cette fois. » Dit-il sèchement en plantant ses yeux dans les siens.

Une fois qu’il fut assuré qu’il ne perdrait pas son attention car il ne supporterait pas de se répéter une troisième fois il reprit.

« Bien. Je venais de vous dire que vos recherches sur les Aspics devaient se cibler particulièrement sur leur venin et un éventuel antidote mais rien ne vous empêche de me rapporter toute information qui vous paraîtrait particulièrement pertinente ou que je ne sache déjà. Mais si vous n’êtes pas assez sérieux pour faire ce que vous avez accepté dites le moi tout de suite que je trouve quelqu’un de plus compétent et ne perde pas plus de temps que ce n’est déjà fait. »

Il était sérieux, sévère et intransigeant, cela touchait une partie très importante de son travail et ne tolérerait pas qu’on se fiche de lui. Il manquait de rigueur en confiant cela à un élève, il serait plus avisé d’aller chercher lui-même, peut être que le bibliothécaire pourrait lui être plus utile.
Il attendait sa réponse, s’il refusait il ferait ainsi sinon il verrait bien à son premier rapport s’il savait faire des recherches ou non. Il valait mieux prendre une décision à ce moment là.

Årghann ne savait s'il devait être en colère après lui-même, après le petit homme qui venait de l'insulter presque ouvertement, ou s'il devait simplement se contenter de hausser les épaules et de répondre quelque chose à la demande de l'infirmier.
Il se retourna pour lui faire face, et le dévisagea intensément. Il n'était pas du tout de bonne humeur, d'autant plus qu'il avait perdu un temps fou dans cette infirmerie. Alors il songeait qu'il était grand temps de quitter cet endroit et de n'y revenir que lorsqu'il aurait des informations conséquentes sur les Aspics.

Je ne sais pas de quoi vous parler, avec la guerre des Etoiles, mais qu'importe.
Je veux bien faire ce que vous m'avez demandé, cela ne me demandera pas trop d'effort. Mais par contre, vous aviez parlé d'un service retour. Et j'ai trouvé ce que je veux.

L'Ombre ne changea toujours pas de posture, et dévisageait toujours son interlocuteur accompagné de son énorme serpent.

Si vous jugez cela équivalent, j'aimerais... que vous me serviez de cobaye pour tenter de mieux maîtriser mon pouvoir. Disons que.. vos souvenirs seront mis à nu.

Peu, voire même aucune personne, n'aimait vraiment que quelqu'un d'autre violât leur intimité de la sorte. Seulement, c'était, malheureusement pour lui, la principale caractéristique de son pouvoir qu'il avait du mal à contrôler. Alors si quelqu'un pouvait lui servir de cobaye... il pourrait ainsi apprendre à mieux se contrôler, et à se protéger efficacement contre toutes ces intrusions plus que désagréables dans ses propres souvenirs.

Årghann finit par se retourner, et regarda la porte de sortie. Il ne lui manquait plus grand-chose pour enfin quitter cet endroit usant pour ses propres nerfs, seulement l'accord de l'infirmier. Et ce serait sans doute quelque chose de peu évident à obtenir...

C’était il y avait combien de temps ? Il ne se rappelait plus à vrai dire, le titre lui était apparu comme ça, c’était sans doute trop vieux que pour l’élève connaisse, cela devait faire une éternité qu’il se levait tous les matins avec pour seules certitudes son nom et ses connaissances magiques. Contrairement à ce que l’on pourrait penser cela n’influençait en rien son caractère, au contraire il l’avait forgé autour comme une carapace inébranlable qui ne permettait pas aux autres de voir à travers lui, pour ce qu’il y avait à savoir…

Il n’était pas satisfait de sa réponse mais allait devoir s’en contenter, que pouvait-il attendre de plus de la part d’un élève ? Bien sûr il ne ferait que le travail à moitié et comme toujours il devrait multiplier les sources. On ne pouvait être vraiment servi que par soi-même.

« Pas d’efforts… Si votre travail n’est pas concluant le service que je vous dois en retour sera à réévaluer. »

Il posa son regard glacial sur le visage enfantin qui n’avait cessé de le dévisager ces dernières minutes. Il semblait qu’il ne pouvait aller nulle part sans trouver quelqu’un d’impertinent. En tout cas s’il espérait tirer quelque chose de son expression il était mal tombé car elle n’indiquait absolument rien : calme et impassible c’était à peine s’il clignait des yeux.
Il ne s’attendait pas à un tel service mais il fallait avouer qu’il n’avait pas pris la peine d’imaginer ce qu’il lui demanderait. Cela ne l’étonna guère, la majorité de ces gosses venaient ici pour développer leurs capacités magiques et ils feraient sans doute n’importe quoi pour progresser, ce qui lui ferait du travail en plus, de quoi le réjouir.

« Bien bien… » Répondit-il indifféremment.

Son pouvoir était donc de lire dans les souvenirs des autres, l’idée qu’il s’introduise dans des souvenirs cachés ne lui plaisait pas particulièrement mais ce pouvoir n’était pas là pour faire joli. Il ne savait s’il pouvait faire resurgir les souvenirs oubliés mais si ce n’était pas le cas il allait finir par se mettre à douter sérieusement et sur son don et sur ses capacités. Mettre en peine celui là avait de quoi le réjouir, quelle était la sphère d’influence de ce pouvoir là ?

« Que vous lisiez dans mes souvenirs me les fait-il revivre ? Il faudra me dire ce que vous verrez. J’espère en tout cas pour vous que je pourrais travailler en même temps sinon j’aurais bien peu de temps à vous consacrer. A l’inverse vous pourrez venir autant que cela vous fera plaisir du moment que vous m’apportez du résultat. »

A ce moment précis et allez donc savoir pourquoi le reptile s’avança lentement en direction de l’élève et claquant bruyamment des dents, de quoi en dire long sur ses intentions.
L’infirmier baissa les yeux sur lui, ouvrit les mains en tournant ses paumes en direction du plafond. Toute l’énergie des diverses et nombreuses plantes qu’il avait pris soin de placer dans toute la pièce se concentra au dessus de ses paumes formant deux boules d’un vert lumineux et fascinant, les reflets étaient étincelants et de verts sans doute jamais vus. Il lança alors l’énergie sur le serpent qui se répandit rapidement dans son corps, le rendant complètement vert pour un temps avant qu’elle ne ressorte et retourne à sa source primaire.
L’action ne dura qu’un instant mais le sifflement aigu du reptile montrait que cela devait faire plus de mal que de bien.

« Je t’avais prévenu. » Déclara-t-il d’un ton nonchalant comme si cela n’avait pas la moindre importance pour lui.

Le corps nivéen glissa sur le sol de pierre avec grâce et superbe sans perdre toutefois son agressivité et son insolence.
Ce ne fut que lorsqu’il disparut dans le cabinet que l’infirmier reporta son attention sur l’élève.

« Faites moi savoir quand vous désirerez commencer, vous me trouverez toujours ici et si vous ne me voyez pas appelez moi. Je ne laisse jamais Siffrit seul et si vous avez peur de lui il en tirera profit. » Dit-il de manière enjouée.

Il restait environ un quart d’heure avant que les premiers cours ne débutent, de quoi lui laisser une matinée de répit si les professeurs ne démarraient pas trop fort, sinon il se ferait un plaisir de les convoquer pour leur parler de la sécurité.

Subitement il songea au moment qui avait précédé son arrivée alors qu’il était en train de discuter avec Siffrit à propos de l’école, puis son arrivée dans le village au Nord, rien d’important en soi. Il se rappelait la marche qu’il avait faite au bord du lac, ses interrogations sur son âge et l’importance primordiale qu’il accordait à son passé, précieux et fugace tel l’eau, source précieuse de vie qui coulait entre ses mains.
Il avait baissé la tête pour cacher son visage qui semblait être devenu mélancolique.

Effectivement l'élève se rendit compte que ce travail demanderait peut-être un peu plus d'attention que la plupart des autres choses qui, éventuellement, pouvaient occuper sa journée. Mais ce ne serait sans aucun doute pas le plus pénible, la première contrainte étant la présence quasi permanente de tout ce monde autour de lui.

Ce que je comprends.

Le regard de l'infirmier se posa sur lui. Glacial, tout comme le reste de son expression. Intéressant de voir à quel point certaines personnes pouvaient sembler détachées du monde qui les entouraient, pouvaient jusqu'à en ignorer son existence. Årghann savait que lui-même donnait une image étrange aux autres; il passait pour quelqu'un de froid, calculateur peut-être, mais en tout cas pour quelqu'un de totalement détaché de la réalité l'entourant. De totalement... absent. D'un autre côté il n'avait absolument pas à s'en plaindre, puisque cette image donnée était loin d'être une image mensongère; certains couraient sans cesse à la recherche d'un style, d'une image qui n'avait rien à voir avec leur "moi" profond et réel, ils étaient parfois tellement en contradiction avec ce qu'ils étaient normalement qu'ils en devenaient fous... Et après, les gens se demandaient pourquoi leur compagnons avaient, du jour au lendemain, perdu l'esprit...

Cela fit sourire l'Ombre, qui répondit calmement à l'interrogation de l'infirmier sur le fait du revécu des souvenirs.

Sincèrement... Je ne crois pas, non. Si je me contente seulement de chercher à bloquer vos souvenirs parasites, ou alors à ériger des barrières mentales de plus en plus épaisses, il ne devrai avoir aucun problème pour vous. Par contre... je sais que je pourrais vous faire revivre certaines choses... pas forcément agréables, je présume. Si cela m'arrive par erreur, j'en suis d'avance navré. Mais théoriquement ce n'est pas le genre d'accident qui pourrait se produire... tout au plus vous auriez à soigner l'affreuse migraine qui pourrait vous agresser. Mais... c'est tout.

Tout-à-coup le serpent s'approcha vivement de l'élève dans la ferme intention, visiblement, de le mordre. Inconsciemment il recula d'un pas, et dévisagea l'animal avec un air un peu inquiet.
L'infirmier lâcha un "je t'avais prévenu" qui en disait long sur son humeur actuelle. Par ailleurs, il fit apparaître deux boules d'énergie vertes, très étranges, qui pénétrèrent le corps du serpent et le fit siffler, puis se résigner à quitter cette salle.
Årghann allait alors dire quelque chose, quand il perçut, de façon très brève, le regard de l'infirmier.
Il n'aurait pas vraiment su dire pourquoi, mais il reconnaissait ce regard et cette expression entre mille. Sans doute parce que lui-même accordait une immense importance à ces pensées-là; de toute manière, difficile de faire autrement lorsque l'on possédait un tel pouvoir. Et puis, penser au passé faisait toujours apparaître une expression étrange, que certains portaient en permanence. En ce qui concernait l'infirmier, il ne voulait apparemment pas que l'élève le vît ainsi. Normal, l'Ombre était pareil à ce niveau-là.
Puis il se rendit_ enfin_ compte de l'heure qu'il était. Les cours débutaient dans moins d'un quart-d'heure, et ce qui aurait dû être une simple intervention de routine due à une honteuse maladresse s'était rapidement transformé en un tête-à-tête dont le degré de chaleur dégagée par la conversation des deux êtres devait sans nul doute être déjà bien en dessous du zéro celcius. Peut-être était-il même au niveau du zéro absolu, de toute façon cela n'importait guère.

J'aimerais commencer demain soir, si cela est possible. Je passerai à la bibliothèque durant cette soirée.

Le fait qu'il ne passât pas par l'infirmerie était, avant toute chose, parce qu'il ne voulait pas encore perdre un temps monstrueux dans cette pièce à l'allure démoralisante et à l'odeur entêtante qui, d'ailleurs, commençait à lui faire tourner un peu la tête.
Il souhaitait, pour le moment en tout cas, en finir au plus vite ici, et retourner prendre l'air au moins cinq minutes avant le début des cours, histoire de se changer les idées.
Mais il ne partit pas tout de suite, préférant tout de même attendre à la fois l'accord de l'infirmier pour le lendemain soir, et son aval pour enfin quitter ce lieu qui commençait réellement à lui taper sur les nerfs.

Il regarda à nouveau l’élève, pas qu’il apportait une quelconque importance à se souvenir de son visage mais il l’avait l’habitude de procéder ainsi, au moins cette méthode avait le mérite de mettre les autres mal à l’aise surtout lorsqu’ils croisaient son regard glacial.
Son expression même était toujours de marbre, si bien qu’on pouvait se demander si sa peau était aussi froide qu’elle le paraissait dans son extrême pâleur. Son visage reflétait parfaitement sa personnalité, il n’avait aucune intention de cacher quoi que ce soit, au contraire. Quelqu’un d’observateur pouvait connaître son comportement avant même de s’adresser à lui.

Par contre, lui ne se souciait pas de ce qui l’entourait, en l’absence de danger il n’observait que s’il y trouvait une utilité, que ce soit pour le sarcasme ou ses travaux. Il n’avait pas de doute sur le fait qu’aucun être vivant puisse lui apporter quelque chose, il ne connaissait même pas l’amitié.

L’élève semblait avoir voulu parler en spécialiste, comme tant d’autres gamins il croyait en savoir assez sur son pouvoir pour en parler avec précision et contrôler ce qu’il savait faire au hasard. S’il n’en savait pas plus que lui sur la vie il était certain qu’il lui avait fallu du temps, énormément de temps pour maîtriser ses pouvoirs et commencer à comprendre réellement de quoi il s’agissait. La preuve était le volumineux grimoire dont au moins un bon millier de pages étaient remplies d’une écriture fine et droite. A l’intérieur aucune trace de souvenir, seulement des connaissances dans le domaine magique et végétal, tout ce qui se rapportait à l’humain avait été écrit par nécessité.

« Lisez dans mon esprit autant que le voudrez du moment que vous m’indiquez avec précision tout ce que vous y trouverez mais ne vous attendez pas à un quelconque miracle. J’espère pour vous que vous savez trouver autre chose que des souvenirs dans la tête des gens. Dans le cas contraire vous m’avez bien mal choisi et je présume que votre absence de « visions » aurait dû vous mettre en garde. Vous êtes jeune, profitez en, bientôt vous n’aurez plus le luxe de faire des erreurs. »

Chaque mot qui était sorti de sa bouche n’avait aucun ton, l’infirmier n’était ni glacial ni sarcastique, seulement d’un cynisme singulier.
Si aucune sympathie n’émanait d’eux ils étaient au moins d’accord sur un point : tous deux désiraient qu’il s’en aille. Il l’avait soigné et ils n’avaient plus rien à se dire d’autre que des paroles glaciales, ils se reverraient bien assez tôt. Maintenant que la rentrée avait commencé il ne serait plus jamais tranquille. Seul hier avait été encore un jour paisible, notamment lors de la cérémonie de bienvenue qu’il avait dédaigné. Ce n’était pas qu’il refusait de connaître ses collègues et les élèves mais il jugeait que cela se ferait bien assez tôt et puis il n’avait jamais aimé ces grands rassemblements officiels, pédants et d’une futilité extraordinaire.

« Passez quand vous le voulez, il n’est pas utile de me prévenir, vous me trouverez toujours ici. »

Ses yeux n’avaient pas quitté les siens, simple habitude qu’il avait même lorsqu’il réfléchissait, si bien qu’on ne se rendait même pas compte du fait qu’il était absent. Son regard ne changeait en réalité que bien rarement.

« Vous pouvez partir. » Déclara-t-il froidement.

Inutile d’être dans la sympathie ou d’échanger de banales formules de politesse avant de se quitter, tous deux n’y accordaient pas la moindre importance.
Le petit homme resta immobile jusqu’à ce que l’élève quitte la salle, au moins pouvait-il être sûr qu’il ne le reverrait pas de la journée ni la majeure partie de la suivante. Il ne semblait pourtant pas découragé à vouloir revenir si tôt, sans doute le désir de progresser l’y avait poussé. Si on le laissait tranquille la plupart du temps il pourrait finir son expérimentation, sinon celui là devrait supporter ses humeurs le lendemain et sans doute qu’il ne serait pas porté à l’amusement.

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