2e années cours #4 : Sortilège du déchirement

Jeudi 16 Septembre - 8h00

Le vieux mage tapota la pile de parchemins du bout de son long bâton blanc. Cette dernière, contrairement à ce que l'on pouvait s'y attendre, ne s'écroula pas sur elle-même, mais se cadra parfaitement. Plus aucun coin de papier ne dépassait de l'étrange tour, raide et digne, comme un soldat en position. Geste pour le moins inutile de la part de Nagg, un simple murmure, et encore, c'est beaucoup dire, aurait eu le même résultat. Le grand-père toussota et se lissa la barbe. Il était huit heures pile. Les premiers élèves franchirent le pas de la porte et allèrent s'asseoir sur les bancs. Ils avaient du, pensa Nagg, bien comprendre lors des deux derniers cours qu'il ne supportait pas les retardataires - les quelques élèves en ayant fait l'expérience devaient sûrement encore s'en plaindre -, et qu'il n'avait pas le temps pour perdre du temps. Expression inhabituelle, mais qui résumait bien sa pensée. Une fois que les jeunes gens furent tous assis, ce qui ne prit pas trop de temps, le professeur s'éclaircit la gorge et commença son cours.

- Bonjour à tous. J'espère que vous avez bien pratiqué le sortilège de l'Aquarius Vaporum en dehors de mes classes, car nous allons aujourd'hui commencer un nouveau sort.

Nagg s'arrêta quelques secondes et montra la pile de parchemins qui se trouvait derrière lui.

- Je vais donc vous initier au sortilège de l'Escirë, plus communément appelé le Sortilège du Déchirement. Ce sort vous permettra de déchirer la matière sans avoir recours à vos mains - évidemment. Le parchemin est une matière extrêmement fine et peu complexe dans sa structure. C'est pourquoi nous allons commencer avec ceci. Il en est de même pour les feuilles d'arbre et autres végétaux souples, mais je n'en avais pas à disposition. Au fur et à mesure que vous maîtriserez le sortilège, vous pourrez vous attaquer à des choses plus compliquées : le tissu, le cuir, le verre.... - plutôt aisé - puis le bois, le métal et même la roche - ce qui est bien plus difficile et demande des années d'entraînement, avec une bonne maîtrise de son énergie vitale... Le plus dur reste les corps des vertébrés, et je vous déconseille vivement de l'utiliser sans un motif légitime. Dans quelques temps nous verrons le sortilège inverse, c'est-à-dire celui de la Reconstitution, qui est beaucoup plus dur à manier.
Bien. Lorsque vous souhaitez jeter le sortilège, il faut vous concentrer sur la séparation de la matière elle-même... comment l'expliquer... le plus simple à votre niveau est, je pense, de visualiser la scène dans votre tête. Essayez de vous représenter les plus petites particules de la matière se décollant les unes des autres, comme si elles étaient contraintes, forcées.
Un geste vif et bref de la main vous aidera sûrement au début à appliquer cette notion de force sur la matière, comme ceci.

Nagg fit un mouvement brusque du poignet, sa main décrivant une ligne verticale partant du haut vers le bas.

- La formule à prononcer est "Escirë". Vous irez chercher chacun plusieurs parchemins et essayerez de lancer le sortilège. Les déchirures de vos parchemins seront dentelées et irrégulières, mais je ne demande aucun perfection pour le moment. La précision et l'esthétique se gagnent avec la maîtrise et la performance, tout comme la puissance.
Je ne veux voir aucune tunique déchirée dans ce cours, me suis-je bien fait comprendre ? Encore faudrait-il que vous y arriviez. Mais concentrez-vous sur les parchemins, et uniquement sur les parchemins. Et rappelez vous que la dégradation des biens d'autrui au sein de l'établissement est punie. Ce n'est pas parce que je vous apprend quelque chose qu'il faut que les autres vous servent de cobayes. Allez-y.

Cette nuit là, Idril n'avait pas beaucoup dormi, trop occupée à penser à l'étrange rencontre qu'elle avait effectué le soir même, aux abords du lac. Le petit homme avait suscité un intérêt mesuré dans son esprit et ses paroles étaient restées en suspend une partie de la nuit, alors que la princesse du nord se tournait et se retournait encore dans son lit, sans parvenir à fermer l'oeil. Pourtant, elle se devait d'être en forme le lendemain, car elle avait cours de magie offensive, l'un des cours qu'elle préférait. Bien que fort âgé, Monsieur Opsumë était un professeur comme les aimait l'Amazone : discipliné, ordonné et pédagogue. Les élèves n'avaient pas perdu au change, en comparaison de l'ancien professeur. Il était certes un bon enseignant, mais le vieux monsieur était meilleur. C'était évident. Avec sa méthode, Idril avait l'impression de progresser. Elle commençait avec des sorts mineurs, très faciles, qu'elle s'évertuait à rendre plus compliqués par la suite. Néanmoins, toutes les victoires qu'elle connaissait, même minimes, l'encourageait à persévérer et à croire finalement qu'elle pourrait, un jour, avec de l'entraînement, devenir bonne en magie.

Même avec seulement quelques heures de sommeil, la princesse fut rapidement debout, prête à aller en cours et de bonne humeur. Heureusement, Freyja l'avait dotée d'une bonne constitution, ne nécessitant pas toujours de longues heures de repos. Elle passa rapidement au réfectoire, prit une banane et fila dans l'aile Est pour se rendre en classe. Elle fut dans les premières à entrer et put choisir une place près du bureau du professeur. Ce dernier commença rapidement son cours et Idril l'écouta avec attention. Au moins, lui, savait donner des explications claires et précises, pas comme cet énergumène de Sören... Ce sort, à long terme et avec de la pratique, se révélerait sûrement très intéressant. L'un de ses voisins lui ramena plusieurs parchemins et elle le remercia, avant de se mettre au travail. A voix basse, elle murmurra plusieurs fois la formule. Escirë... Escirë... Rien ne se produisit. Elle fronça les sourcils, plissa les yeux et se concentra davantage. Escirë... Escirë...

Dans un nuage de poussière, le parchemin implosa. Idril ferma les yeux, surprise, pour éviter le nuage qui se propagea. Elle cligna des yeux, puis les rouvrit, perturbée. Elle demanda alors au professeur, d'une voix qui traduisait parfaitement son étonnement :

« S'il-vous-plaît ? Comment se fait-il que le parchemin ait implosé ? »

Quelque soit la personne, la sanction et même la volonté qu'il pouvait y mettre, être à l'heure représentait une épreuve quasi insurmontable pour Alcor. Et ce professeur visiblement si à cheval sur la ponctualité risquait d'avoir encore quelques problèmes avec son élève Alystryn. A croire qu'une malédiction l'avait frappé alors qu'il était enfant. Et une fois de plus, ce fait s'avéra véridique. Malgré le boucan que faisaient ses camarades de dortoir, le noctambule avait eut du mal à émerger ce matin *en même temps quelle idée de nous mettre des cours aussi tôt !* et rentra en classe avec ses habituelles trois minutes de retard, poussant discrètement la porte et s'assoyant à la place la plus proche de la sortie, la mine endormie, et les cheveux en bataille.

Coup de chance cette fois, son voisin de derrière lui tendit quelques parchemins et lui résuma assez brièvement la situation. *Déchirer des parchemins ? Mouais, il n'y a rien de très excitant là dedans...* Même s'il avait l'air en parfaite harmonie avec les nuages, son esprit n'en était pour autant pas moins en pleine activité.
Et alors qu'il était en pleine réflexion sur la prochaine invention qu'il pourrait mettre en place, un bruit d'explosion se fit entendre. Pour une fois que ce n'était pas le blondinet la source du raffut... non, cette fois c'était la jolie nordique, Idril, qui venait de réaliser une belle performance - pour Al bien sûr...

Moi je vois qu'une explication ! Les parchemins sont en fait vivants, et celui-ci, bien trop fier pour accepter de se faire mettre en lambeaux a préféré se suicider !

Eh oui, au réveil cet adolescent a les idées encore plus farfelues qu'à l'habitude. Enfin, c'est surtout que ça le conforte dans sa volonté de cisailler autre chose qu'un malheureux parchemin. La raison principale en était l'énervement que cela risquait de provoquer chez son professeur, et donc passer une fois de plus pour un insupportable garnement qui voulait amuser la galerie, et non pas pour un élève potentiellement doué.
De par ses origines et les nombreux entrainements qu'il avait subit, on pouvait aisément affirmer qu'Al avait des prédispositions pour tout ce qui avait attrait à la magie. Hormis sa faible constitution qui l'empêchait de fournir suffisamment d'énergie pour la réalisation des sorts les plus puissants ou de les effectuer longtemps, il n'avait aucun problèmes pour reproduire les sorts qu'on essayait de lui apprendre, le tout à l'abri des regards. Si si, je vous assure qu'une fois sortit de classe et dans ses moments de solitude, c'était un élève d'un bon niveau. *Ouais, enfin ce qu'en j'en pense, c'est que la barbe de ce vieillard aurait bien besoin d'un petit rafraichissement !* Là, on est tous en train de prier pour qu'une once de sagesse se pose sur sa tête blonde. *Puis il avait bien dit qu'un sort inverse existait et qu'il nous le montrerai. Comme ça il n'aura pas le choix !*
Certes Al devait faire partie des plus jeunes élèves de deuxième année, mais là c'est à se demander s'il a vraiment dix-sept ans... Et même si l'envie d'arrêter d'écrire là et de vous laisser imaginer la suite seuls est forte, je n'ai malheureusement pas le choix. Des fois je me demande vraiment pourquoi c'est moi qui doit vous narrer les inventions de ce... garçon ?

Bref, reprenons. Alors que la majorité des élèves étaient encore avec leur sort, réussissant plus ou moins suivant les cas, l'attention de l'Alystryn se reporta sur son professeur. Il n'avait encore jamais essayé de lancer ce sort, mais d'après lui, des poils devaient être bien plus simples à couper qu'un parchemin - ce qui était une des raisons de son choix de délaisser son parchemin. Bon bien sûr, la difficulté venait de la cible choisie... Al ne doutait pas qu'un homme de son âge enseignant une telle matière devait avoir pas mal d'expérience. *De toute façon, qui ne tente rien n'a rien !* Moui, expression qui lui convenait parfaitement... Et puis comme ça, il risquait plus de récolter une punition qu'autre chose, et il ne serait plus obligé de faire son exercice devant tant d'yeux ! *Et je ne déchirerai aucune tunique ni ne dégraderai aucun bien...* Tout dépendait de ce qu'on incluait dans la catégorie "biens". Parce que je vous assure que si quelqu'un avait le malheur de toucher à la crinière d'Al, sa réaction risque de ne pas être totalement contrôlée... Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais que l'on te fasse ? Ah non, celle là il ne la connait pas ! *C'est bon, je m'en fout de toute façon qu'on me coupe la barbe, j'en ai pas !*
Lorsque Nagg fut à courte distance de l'ados, ce dernier passa immédiatement en mode" ultra-concentration". *C'est que je veux pas le blesser et visant mal, non plus !* Présomptueux ? Oui, certainement. Toujours est-il qu'il ne mit pas longtemps à lancer son sort. Se représenter la matière se découper n'était pas trop compliqué pour ce garçon qui ne manquait pas d'imagination, puis il tendit la main gauche en direction de son professeur et ne mit pas trois heures avant de décrire un mouvement horizontal cette fois, le tout accompagné de la bonne formule. "Escirë" Et dans ce cas, une seule question pouvait accompagner ce geste - qui au passage avait attiré la grande majorité des regards de ses camarades sur le professeur et lui.

Les coiffeurs peuvent utiliser cette technique sur leurs patients ? Ça reviendrait quand même moins cher !

Et voilà. Al ou comment s'attirer des ennuis. Parce que vu la tournure que prennent les événements, il n'y a pas qu'avec la ponctualité que le professeur de magie offensive allait devoir se battre, mais bien aussi avec le savoir vivre et le respect des consignes...

[hrp : je voulais juste rendre le cours un peu plus attractif, mais s'il y a un problème je modifierai ça ne me gêne pas ! /hrp]

Ce matin là Osmérya se réveilla légèrement en catastrophe et pas particulièrement en avance malgré les croassements désespérés de son corbeau au plumage blanc. Le pauvre oiseau, il s'affairait depuis déjà dix minutes à donner des coups de bec contre la fenêtre, en vain. Mais la sorcière ouvrit finalement les yeux, découvrant non sans pester qu'elle était la dernière au lit. Emmêlée dans ses couvertures elle manqua de se casser la jambe en tombant lourdement sur le sol, l'esprit encore noyé dans le brouillard des songes pourtant si doux. Mais pas question d'être en retard aujourd'hui. Elle se leva bien vite en enlevant sa tunique de nuit, elle prit la première veste et le premier pantalon qui lui passaient sous la main, chaussa une paire de botte qui n'était peut-être pas la sienne et fila comme une furie dans les couloirs. Oui, osons le mot "furie", et reprenons le mot "sorcière", c'est sans doute ce que la plupart des élèves avaient du penser en la voyant déambuler dans les couloirs. Elle n'avait pas même prit le temps de se coiffer, ce qui était tout à fait inconçevable pour elle vu que ses cheveux d'or étaient d'une nature bouclée et rebelle. Tant pis, le professeur de magie offensive ne dirait rien n'est-ce pas? Pourvu qu'elle arrive à l'heure...Quoi que ce matin elle ne craignait pas tant le fait d'être un peu en retard, elle voulait seulement éviter de s'attirer les foudres de ce vieux magicien grincheux à cheval sur le principe de ponctualité. Etant elle aussi de mauvaise humeur il valait mieux éviter le moindre accrochage.

Le souffle haletant elle arriva à temps dans la classe, fut la dernière à s'asseoir mais pas à arriver. La couleur du cours s'annonçait pour le moins intéressante: le Sortilège du Déchirement avait ce côté agressif qu'elle voulait à tout prix contrôler coûte que coûte. Elle écouta vaguement ce que Nagg Opsumë était en train de dire, réalisant qu'elle n'avait rien avaler depuis la veille. Pourtant elle aimait bien ce professeur, ou du moins elle avait un profond respect à son égard. Ce n'était pas parce qu'il était âgé mais plutôt parce qu'à travers sa voix elle pouvait entendre le long chemin de connaissance et de savoir qu'il avait parcouru pour arriver jusqu'ici. Perdue dans ses pensées elle prit sa dernière phrase au vol en souriant légèrement: ne pas se servir des autres comme cobayes. Quel dommage, l'idée était assez séduisante pourtant, mais ce n'était pas le moment de s'aventurer dans des désirs non-appropriés pour l'heure. La jeune fille partit chercher son parchemin et revint s'asseoir. Elle tourna la tête à gauche: les élèves essayaient d'appliquer le sortilège. Elle tourna la tête à droite et...Boum! La charmante princesse du Nord venait de faire imploser son parchemin.
Avant même qu'Osmérya ouvre la bouche pour tenter de répondre à la belle Idril, le blondinet immature de la classe proposa une explication des plus loufoques. Il avait beau l'exaspérer comme les autres professeurs, cette fois-ci elle ne put s'empêcher de pouffer de rire mais revint vite au sérieux et se concentra sur le sortilège. Escirë...répétait-elle au plus profond de son âme, Escirë...Le regard perdu sur le parchemin, ses yeux semblaient presque le traverser tout entier, ils arrivaient presque à visualiser ces petites particules de matière dont avait parlé le professeur.
- Escirë! Le parchemin se craquela au centre tandis que des petites fissures le serpentaient pour rejoindre les extrémités, essayant tant bien que mal de le déchirer. Mais, soit par défaut de concentration, soit à cause d'une nouvelle intervention d'Alcor sur l'incroyable valeur d'un sortilège réduit à un outil de coiffure, le papier ne fut même pas dentelé. Tout comme les autres élèves, Osmérya fixait maintenant le sage professeur et un de ses apprentis, attendant avec un certain ricanement intérieur ce qui allait se produire.

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