Entraînement quotidien [Merryn Ish Al Sizun]

Dimanche 26; 14H30

La professeur avait besoin d'air, n'en pouvant déjà plus d'être enfermée entre tous ces murs. Elle en était à sa cinquième heure dans la bibliothèque, à lire un énorme livre sur la mythologie ancienne de Veldri.
C'était un ouvrage de référence parmi tous les amateurs de mythes et légendes, un de ceux qui regroupaient le plus de mythes d'un maximum de région. Et bien qu'un bon nombre d'entre eux était d'origine inconnue l'auteur avait à peu près pu les dater.
C'était ainsi qu'elle s'était faite sur un morceau de parchemin qu'elle gardait précieusement sa propre chronologie des mythes, et avait une plutôt bonne idée de leur évolution dans le temps.
De ce fait elle avait remarqué que l'un des mythes les plus importants de l'extrême Nord du monde, celui qui relatait la Naissance de la Déesse des Neiges était en fait, à l'origine, celui qui expliquait comment était né les Premières Neiges. Bon, c'était vaguement similaire, mais il y avait quand même eu une évolution, et cela avait fasciné Illalëe au point qu'elle s'abîma pendant plus de cinq heures à lire toutes les variantes du mythe de l'Origine dans les Grands Nords.

Mais à présent elle saturait, et ne souhaitait pus qu'une chose: sortir.
Elle avait besoin de sa dose d'air pur, de son temps passé à l'extérieur pour se sentir bien. Elle reposa donc le livre sur la table,s'étira deux secondes tout en jetant un rapide coup d'oeil à tous ceux présents en ces lieux, et se leva, presque courbatue d'être autant restée assise.
Il fallait dire aussi que la dame du désert était loin d'être quelqu'un de passible qui aimait restée inactive. Elle ne tenait même pas en place, et la seule chose qui pouvait éventuellement l'immobiliser deux minutes était la mythologie, qui lui permettait de s'évader un petit peu et de voir les choses autrement. Mais elle restait rarement plus d'une heure assise, quand bien même il s'agissait de mythologie. Sauf si le sujet en valait la peine, comme elle venait d'en faire l'expérience. Pour le coup, quelques personnes avaient dû être étonnées de voir le professeur de combat passer autant de temps dans la bibliothèque, penchée sur un livre et une plume à la main, notant tout un tas de choses comme un élève consciencieux le faisait lorsqu'il travaillait. Cette pensée la fit sourire tandis qu'elle alla remettre le livre dans les rayonnages et salua la bibliothécaire d'un hochement de tête avant d'aller rapidement dans sa chambre_ dont elle avait enfin retenu la localisation..._ récupérer son cimeterre et partit, presque en courant, jusque près de la volière où elle appela son Dragon, qui la rejoignit rapidement. Puis ils allèrent tous deux à proximité du lac, cherchant un endroit plutôt isolé et où les élèves n'auraient pas l'idée saugrenue de venir par là et de recevoir un coup de sabre...

Ils trouvèrent enfin l'endroit idéal, situé entre deux gros arbres et au bord de l'eau. Maghzen décida d'aller voler un peu, histoire de se dégourdir encore les ailes tandis que la professeur commença à faire quelques mouvements avec son armes, quand elle se figea brusquement. Elle était pourtant certaine qu'il n'y avait pas le moindre élève par ici, et avait même fait plusieurs fois le tour pour s'en assurer. Et pourtant il y avait quelqu'un. Illalëe rabaissa donc son bras, se doutant fortement que l'intrus n'était pas un ennemi. Mais il devait avoir une certaine chance qu'elle eût un avertissement de son compagnon finalement revenu pour lui signaler la présence de cette personne.
Qui êtes-vous?
Elle jeta un coup d'oeil à son compagnon, qui pencha légèrement la tête sur le côté, ce qui la fit rire. Puis elle redevint sérieuse.
Faites attention quand même la prochaine fois. Qui sait ce que j'aurais pu malencontreusement vous faire!
Quelle idée, aussi, d'être si discret!.. En même temps, elle pouvait comprendre ce besoin de discrétion, ou en tout cas cette façon naturelle de se déplacer dans un silence des plus impressionnants...
Finalement elle attendit que l'intrus se décidât enfin à se montrer.

Ce dimanche était un jour béni, il n’avait eu que de rares visites dans la matinée bien qu’il fut en compagnie de sa nouvelle assistante. Puis à midi il l’avait laissée filer et avait fermé l’infirmerie, n’accrochant qu’un écriteau qui indiquait :

L’infirmerie est fermée jusqu’à seize heures, en cas d’incident adressez vous à l’assistante et en cas de réel problème criez mon nom à l’extérieur, je viendrais. Ne me dérangez sous aucun autre prétexte.

Il avait donné bien assez de son temps pour l’école et était en droit de prendre plusieurs heures pour se livrer à une médiation réparatrice. Bien sûr il aurait pu se reposer grâce aux plantes et à son savoir mais il préférait se retrouver avec lui-même et méditer était presque devenu une tradition pour lui, surtout qu’utiliser d’autres moyens ne faisait que repousser les problèmes.
Trois semaines déjà avaient passé et il était temps qu’il retrouve son contrôle, la présence parfois continue de visiteurs avait souvent tendance à rendre son agacement incontrôlable. S’il s’en fichait quand il devait les soigner cela nuisait à son travail et c’était loin de lui plaire. Etre en présence d’autres personnes ne le dérangeait pourtant pas, le problème était différent et ce n’était pas non plus leur incommensurable stupidité, depuis le temps qu’il était sur ce monde il devait bien avoir l’habitude non ? Il n’avait pas toujours vécu en ermite.
Il savait que son ascèse n’avait rien à voir, son caractère ne pouvait avoir changé brusquement, seule la méditation et le dialogue avec lui-même pourraient l’aider et les plantes par leur esprit le guider.

Il s’était donc dirigé près du lac dont il appréciait la fraicheur automnale en compagnie de son serpent avec un pas plus rapide que d’ordinaire et après avoir trouvé l’endroit parfait, entouré de végétation et caché par quelques buissons il s’assit en tailleur, laissant son serpent aller chasser les quelques bestioles du coin et mordre qui bon lui semblerait.

Il ferma les yeux, adressant d’abord une prière à la Déesse pour qu’elle lui donne force et clairvoyance. Puis il récita inlassablement dans sa tête un poème dont les phrases magiques l’amenèrent peu à peu dans un autre monde. Il pénétrait dans son esprit, un esprit bien différent de tout autre homme qui ressemblait à un monde tortueux et incompréhensible dont seul l’homme-plante connaissait les codes.

Une heure passa.
Puis une autre.

Il était au cœur de ses réflexions, dans un état qui de l’extérieur ressemblait presque à de l’hypnose, quand il sentit l’Appel Extérieur. Il ouvrit immédiatement les yeux, il avait l’air calme comme s’il venait de se réveiller et pourtant son esprit était en alerte. Quelqu’un était là.
Un ennemi ? Peu probable, de toute manière pourquoi aurait-il un ennemi puisqu’il n’était ni un guerrier ni le type d’homme, malgré son impertinence totale, qu’on aurait aimé provoquer.

Il entendit alors la voix de l’autre qui lui aussi avait perçu sa présence.
C’était une femme de taille grande, entraînée au combat et il aurait mis sa main au feu qu’elle avait une arme sur elle, une épée peut être.
Dérangé dans sa méditation il était inutile d’y retourner et puisqu’elle voulait savoir qui il était il allait lui donner réponse.

Il se leva et sortit des buissons où il s’était caché, il regarda la femme d’allure plutôt jeune, il ne s’était pas trompé.

« Bonjour, je suis Ish Al Sizun, infirmier de l’école et vous ? »

Il jeta à nouveau un coup d’œil sur elle avant de rajouter.

« Vous ne m’auriez rien fait, si vous m’aviez attaqué entre nous deux ce serait vous qui serait en mauvaise posture. »

Il avait parlé d’un ton amusé et avec sa gaieté habituelle, n’ayant pas l’intention de la provoquer ou de lui dire quelque chose de déplaisant et ironique, après tout elle ne lui avait justement rien fait.

La Dame du désert observa l'homme qui venait de se présenter à elle. La première chose qui la frappa fut sa relativement petite taille, ce qui était particulièrement accentué par la sienne, qui était plutôt honorable sans être pour autant une "géante". Mais cela était quand même vraiment... étrange.
Alors c'est vous l'infirmier dont parle avec une certaine... appréhension les élèves? Enchantée. Je suis Heldan Illalëe, professeur de combat.
Elle accompagna sa réplique d'un immense sourire, avant de refaire quelques mouvement avec son sabre et de sourire de nouveau lorsque l'infirmier lui fit remarqué que des deux, ç'aurait été elle la plus embêtée. Ce qui n'était pas vraiment faux.
Pour sûr. Mais ç'aurait été fâcheux pour vous aussi. Enfin...
Maghzen semblait très intrigué par le petit homme, pour une raison qu'elle ne comprenait pas. elle se demanda si c'était parce que cet être avait réussi à les surprendre, ou si c'était plutôt parce que ni lui ni elle ne l'avait remarqué avant que le Rapace ne vînt l'en avertir.
'ai entendu plusieurs fois votre nom dans les couloirs. Votre notoriété vous précède, Monsieur Shizun.
Finalement la professeur décida de ranger son arme; parler avec quelqu'un le sabre hors de son fourreau était, pour les membres de son peuple, un signe de volonté d'affrontement. Et généralement cela pouvait aller très loin, jusqu'à la mort de l'individu, même. D'ailleurs, elle se demanda ce qu'était devenu le jeune garçon qu'elle avait affronté il y avait de cela de nombreuses années...

_Regarde toi, tu ne sais même pas comment faire marcher les affaires de tes parents!
_LA FERME Sherzam! je ne t'ai rien demandé!
A ce moment-là le jeune garçon avait sorti le sabre de son fourreau, et Illalëe avait immédiatement compris. Il voulait l'humilier plus qu'elle ne l'était déjà, ne pouvant pas supporter le fait que "cette incapable" eût pu la battre il y avait moins d'un an en arrière.
_Comme tu le désires, Sherzam!
Les deux jeunes gens s'étaient alors battus pendant près d'une heure, jusqu'à ce qu'un coup de pommeau d'une force inouïe dans l'estomac de son adversaire l'avait forcé à se plier en deux.
_Vois-tu Sherzam, je ne m'intéresse à rien de ce que peux nous offrir nos parents. Les seules choses qui me font vibrer sont les livres, et mon Sabre. C'est d'ailleurs par lui que je vis, Sherzam. Tâche de t'en rappeler à l'avenir.

La Dame sourit à ce souvenir, amusé. Elle se rappelait de sa propre arrogance, et de sa prétention à être la meilleure de tout le camp dans son domaine. Et même si ce n'était peut-être pas tant éloigné de la réalité, c'était tout de même un peu fantaisiste de sa part de penser cela.
Pardonnez-moi, Monsieur Shizun. Je me rappelais un épisode quelconque... Eh bien, aujourd'hui est une journée vraiment fantastique, vous ne trouvez pas? J'aime les journées comme celle-ci, même si je trouve qu'elles sont trop courtes!
Puis elle se retourna vers le petit homme et lui adressa un immense sourire.
J'espère juste que je ne vous ennuie pas trop avec mes paroles, vous avez la réputation d'en être extrêmement avare!

Il regardait ailleurs alors qu’elle lui répondait, pas vraiment habitué aux discussions amicales, d’ordinaire on le dérangeait dans son infirmerie et il avait toujours quelque chose à faire pendant qu’on lui parlait. Ce n’était pas qu’il cherchait à éviter le regard des autres mais il n’aimait pas montrer d’intérêt pour les gens qui lui adressaient la parole, simple question d’habitude. C’était une attitude que pas mal de personnes trouvait impertinente voire insultante mais il s’en fichait bien, il lui avait adressé la parole parce qu’il était de plutôt bonne humeur mais lier une amitié avec cette femme ne l’intéressait pas spécialement. Il n’avait jamais eu d’amis de toute manière, il n’allait pas commencer après un si long chemin !

« Ma notoriété ? Elle ne doit pas être très flatteuse je suppose, je vais finir par croire que je suis plus réputé pour mon mauvais caractère que pour mon génie. Les gens retiennent vraiment les informations les plus insignifiantes de nos jours. »

Sans être désagréable on sentait une pointe de mépris ressortir de ses paroles même s’il n’avait pas pris la peine de préciser ceux qui étaient réellement concernés par ses paroles.

« Professeur de combat ? Oui, bien sûr. Vous pratiquez depuis longtemps ? »

Etrangement, quand il entretenait ce genre de discussions qui ne lui convenait pas du tout il posait toujours des questions sur les autres sans que cela lui importe, qu’elle soit la guerrière le plus forte de ce monde ne changeait rien, si elle l’attaquait il aurait bien vite fait de la vaincre et il était peu probable voire quasi impossible qu’elle se montre menaçante envers lui alors qu’ils faisaient tout juste connaissance. On aurait presque dit qu’il était quelqu’un de normal rencontrant une autre personne tout autant banale.

« Non pas du tout, je m’en serais sorti très bien et vous très mal, dans la nature il faudrait être un dieu pour arriver à me toucher. »

Sa voix gardait la même gaieté frivole, elle ne devait sûrement pas comprendre et il n’avait pas l’habitude de nommer son élément si on ne le lui demandait pas, s’il se considérait comme un génie qui maîtrisait sans doute mieux son élément que la plupart des vivants de ce monde il ne voyait pas l’intérêt de déclarer ouvertement ce qu’il maîtrisait. Tout comme le fait qu’il savait se battre en dehors de la magie, bien sûr il était beaucoup moins doué dans ce domaine mais sa petite taille et sa souplesse de jeune homme lui donnaient un avantage indéniable.

Le professeur attira son attention sur elle lorsqu’elle se décida à ranger son arme, il n’avait pas cru bon de se rappeler que son sabre était sorti mais s’en souvenait maintenant. Elle semblait plongée dans ses souvenirs, cet élève, comme s’appelait-il déjà ? Peu importait mais il aurait sûrement su à quoi elle pensait, lui n’avait pas la moindre curiosité là-dessus, les souvenirs étaient quelque chose de personnel et puis ils ne servaient à rien d’autre que d’être désespéré de ses malheurs passés et nostalgique des bons moments, il valait mieux s’en émanciper le plus rapidement possible, c’était la seule manière de vivre dans le bonheur. Evidemment lui, même sans ses souvenirs n’y avait pas le droit, sa personnalité ne coïncidait pas avec ce genre de sentiment et il n’était pas ici pour être heureux. S’il s’était plongé dans le bonheur il aurait arrêté de faire ce pour quoi on l’avait envoyé dans ce monde et s’il tentait de l’être la Déesse se chargerait de lui, ce dont il n’avait pas spécialement envie. Il finirait sa mission quoi qu’il advienne, même si cela devrait prendre des milliers d’années.

Lorsqu’elle lui adressa à nouveau la parole il sourit, lui-même s’était plongé non pas dans ses souvenirs mais dans ses pensées.

« C’est Sizun et en fait mon nom est Ish Al Sizun, si vous voulez l’abréger dites seulement Ish Al mais n’écorchez plus mon nom ! »

En d’autres temps il s’en serait irrité mais comme elle le disait la journée était belle et il n’était pas assommé par les visites incessantes des élèves aujourd’hui alors autant en profiter et ne pas se mettre de trop mauvaise humeur. Il aurait dû changer de nom et en prendre un plus simple, il n’aurait pas eu de problème là-dessus mais celui là lui plaisait bien.

« C’est vrai que la journée est belle, pour une fois je peux en profiter. Vous avez raison je suis plutôt économe mais je n’empêche personne de parler autant qu’il le veut, parfois c’est plutôt amusant. »

Il venait de renouer avec sa gaieté d’autrefois alors qu’il se moquait des gens avec autant de sarcasmes mais avec cette sorte de joie en plus qui avait aussi le don de taper sur les nerfs de 90% des gens. Il devrait faire de même, il s’en mettait toujours à cœur joie d’agacer les gens au plus profond d’eux-mêmes sans qu’ils puissent faire quelque chose contre cela. Etre intouchable était plutôt vital quand on avait son caractère aigri et méprisant.

He bien... je dois bien reconnaître que vous avez raison, vos passez pour une sorte de personne vraiment méprisante, détestable, et j'en passe et des meilleures! Certains élèves ont même peur de se rendre dans votre infirmerie... Vous leur faites quoi, pour qu'ils pensent ainsi?
En aucun cas Illalëe l'accusait ou cherchait à avoir s'il était méchant ou pas. C'était juste une forme de curiosité, amusée qu'elle était devant tant de mépris et de peur de la part d'étudiants qui, habituellement, se serait précipiter là-bas dans le seul et unique but d'avoir un mot de l'infirmière_ ici de l'infirmier..._ lui donnant la possibilité de ne pas se rendre en cours. Mais cette année, avec un tel homme dirigeant cette sacro-sainte infirmerie, les élèves étaient bizarrement tous présents... Ce qui était particulièrement intéressant, elle devait bien l'admettre.
En tout cas je ne puis que vous donner raison, les gens retiennent bien plus facilement les pires traits de caractère d'une personne de son vivant, et lorsque celle-ci meurt tout-à-coup elle devient une sorte de déité sur la terre, sans le moindre défaut, et tout et tout... plutôt surprenant, je trouve. En tout cas, votre pays possède une bien étrange mentalité.
Elle se rappelait que dans le désert, on ne prêtait au défunt pas plus de qualités qu'il n'en avait eu de son vivant; mais pas plus de défauts aussi. A vrai dire, seule son habilité à faire quelque chose_ le commerce et le combat, notamment_ était retenue. Le reste les gens s'en moquaient éperdument, on laissait généralement ce genre de choses à la charge de la famille concernée, les sentiments étant quelque chose de trop personnelle pour être montrée comme le faisait les gens d'ici lors des enterrements.
Elle sourit lorsqu'il demanda si elle pratiquait depuis longtemps. Elle aimait bien parlé de son art, de la façon qu'elle avait de considérer son sabre, et autre. Mais là elle se contenta d'un simple hochement de tête. Inutile de parler d'avantage, même si cet homme avait l'air joyeux, les on-dits sur sa personnalité étaient suffisant pour qu'elle se doutât qu'il serait bien vite assommé par une trop ;longue description de comment elle en était arrivée là. Dommage, mais elle savait pertinemment qu'elle aurait toutes les occasions du monde pour en parler avec quelqu'un qui serait intéressé... et qui en dirait tout autant à son sujet, voire plus.
Par contre elle fut surprise lorsqu'il lui dit qu'il aurait fallu être un Dieu pour le toucher dans la nature... Elle se demanda pourquoi; possédait-il une agilité hors-pair, une force surhumaine? On avait tendance à dire que les êtres de petites taille étaient souvent bien plus forts qu'ils ne le laissaient paraître et qu'il ne fallait pas les provoquer sans raison. Elle se demanda si cela était bien vrai pour Monsieur Ish Al Sizun...
D'ailleurs il lui fit remarqué qu'elle avait allègrement écorché son nom.
Ah!.. pardon, je ne retiens pas bien les noms, surtout les composés, à vrai dire! D2solée, je tacherai de m'en rappeler!
Elle avait reprit son sourire, ne cachant pas la joie qu'elle avait à se tenir dehors par une si belle journée. En plus elle discutait avec quelqu'un, ce qui avait tendance à la rendre de meilleure encore; Illalëe adorait échanger avec toutes les personnes qui l'entouraient. Elle apprenait ainsi tant et tant de choses qu'un certain nombre de personnes avaient, hélas, tendance à considérer comme étant inutile; notamment ceux qui considéraient les paroles comme étant le meilleur moyen de révéler l'hypocrisie de celui qui parlait. La professeur ne pouvait pas blâmer ces personnes-là, tout comme elle ne pouvait blâmer ceux qui n'aimaient pas parler. En fait, elle n'était tout simplement pas en position de juger, reconnaissant bien volontiers que chaque personne avait sa manière de voir les choses et que c'était grâce à cela que le monde était monde et que l'on pouvait y trouver tant de merveilles en allant de ville en ville, par exemple.
« C’est vrai que la journée est belle, pour une fois je peux en profiter. Vous avez raison je suis plutôt économe mais je n’empêche personne de parler autant qu’il le veut, parfois c’est plutôt amusant. »
Amusant? C'est-à-dire?
Elle pencha la tête sur le côté, intriguée. Illalëe était vraiment curieuse de savoir qu'est-ce qu'un homme comme lui pouvait trouver d'amusant dans les paroles incessantes de certains interlocuteurs...
J'ai l'impression que vous dites cela juste parce que ce qu'elles peuvent dire est si ridicule que ça devient franchement comique!
Certaines personnes auraient trouvé cela plutôt révoltant, mais pas la professeur de combat; elle était bien d'accord avec l'infirmier si c'était ce qu'il voulait dire, même si elle devait sans doute penser qu'il y avait un nombre vraiment réduit d'interlocuteur parlant au point que cela en devînt ridicule...
Elle sourit de nouveau.
Enfin... dîtes-moi si je me trompe! Je ne voudrais tout de même pas émettre des conjonctures à votre sujet alors qu'elles s'avèrent fausses, il n'y a pas pire façon de faire connaissance avec quelqu'un que de supposer qu'il est ainsi ou ainsi!

La description de sa propre réputation par cette femme tout juste rencontrée fit ricaner l’infirmier, ses paroles n’étaient pas plus différentes que le reste mais comme son comportement était d’une grande prévisibilité il ne fut pas étonné d’entendre ces mots. C’était d’ailleurs ce qu’il attendait, il trouva plutôt drôle qu’elle le questionne sur sa méthode.

« Tant mieux de toute manière ils seront bien confrontés à la peur un jour ou l’autre et pas celle d’avaler un mauvais remède. Disons que je m’arrange seulement pour que leur visite soit si horrible qu’ils n’aient plus la moindre envie de se faire mal bêtement. Si on ne procède pas ainsi de nos jours les jeunes n’apprendront jamais rien. »

Il aurait presque rajouté qu’il s’en serait aussi bien porté mais ne trouva pas utile d’en faire la remarque. Ce n’était pas la peine de prendre avec plus d’intensité l’image qu’il avait formée, il doutait que le professeur soit amenée à le fréquenter régulièrement.

« Je ne suis pas tout à fait de votre avis, les gens retiennent les traits forts d’un caractère et en ce qui me concerne j’avoue ne pas faire le moindre effort pour mettre d’éventuelles qualités en avant. Mais je ne suis pas là pour faire ami-ami avec des gamins. »

Et puis même si certains étaient doués d’un génie ô combien rarissime il ne lui serait jamais possible de se rapprocher d’eux, tous les hommes potentiellement intéressants qui avaient croisés sa vie s’étaient heurtés à sa carapace inébranlable. Mais ils ne savaient pas que c’était plus que son caractère qui ouvrait un gouffre entre eux, ce n’était pas important, ils ne comprendraient jamais pour la bonne raison que personne ici n’était concerné par sa présence.

« Notre mentalité n’est étrange à vos yeux que parce qu’elle est différente et je vous assure que celle de votre monde me paraît toujours obscure et ridicule. Sans doute à force d’y chercher des ressemblances qui visiblement n’existeront jamais. »

Ses phrases avaient la fâcheuse tendance de faire poindre du mépris sur bon nombre de choses mais il gardait toujours un sourire amusé et une voix plutôt joyeuse, curieux contraste qui semblait lui être propre et tout naturel.
Il ne s’occupait absolument pas de sa réaction et ne remarquait pas tout sentiment qui aurait pu traverser son interlocutrice. Et puis c’était une méthode plus qu’inefficace pour connaître quelqu’un, se fixer sur son comportement et des qualités éphémères était une attitude qui le faisait toujours beaucoup rire. Bien sûr il n’y avait pas de remède miracle et ce qu’il voulait savoir ne s’affichait jamais devant ses yeux, il fallait du travail pour découvrir et pas grand monde ici l’avait compris.
On avait toujours cru que sa hauteur et la supériorité qu’il ne cachait pas vraiment venaient de là, ils auraient pourtant dû comprendre qu’il était impossible de comparer deux choses n’ayant rien en commun.

« Mon nom n’est pas composé ! » Il réfléchit un instant. « Ah c’est vrai que je l’ai coupé, les gens n’arrivaient pas à le prononcer lorsqu’il était écrit en un seul mot. »

Un sourire moqueur se dessina sur son visage le temps de quelques secondes pour laisser place à un plus naturel et quelque peu évasif. Le passé était révolu, il ne pourrait plus jamais revenir à moins que… Il chassa ces pensées là, il était inutile de réfléchir là-dessus il n’avait pas le choix et ne trahirait pour rien au monde, non jamais il n’en serait capable.

Il perçut de la curiosité dans sa voix et ne comprit pas vraiment ce qui pouvait l’intéresser là dedans, elle-même ne trouvait-elle pas certaines discussions amusantes ? Peut être que oui, peut être que non.

« C’est vrai et c’est souvent l’origine de mon amusement, j’appellerai plutôt ça moquerie ! Pourtant il arrive que certaines conversations soient aussi plaisantes, amusantes. Cela vous étonnera peut être mais mes conversations ne se limitent pas toujours à des sarcasmes ! »

Son sourire moqueur revint pour se fixer sur son visage cette fois, les gens avaient bien du mal à comprendre son comportement quand il se démarquait de la moquerie ou du mépris, sans doute parce que seules ses paroles étaient moins piquantes, son expression, son attitude restaient les mêmes.
La rencontre qui n’était pas si différente des autres semblait l’intéresser quelque peu, la méditation l’avait rendu un peu plus tolérant et il était plus apte à écouter sans éprouver l’irrésistible devoir de sortir une réplique méchante ou ironique. Ce n’était pas sa faute si la moquerie l’amusait follement et qu’il trouvait que ces hommes étaient absolument insignifiants, à ses yeux ce monde était d’un ridicule incroyable.

« Vous savez vous pouvez penser de moi ce que vous voulez, si vous me détestez ou que vous m’aimez follement cela ne me fera ni chaud ni froid. Et puis je ne me gêne pas pour juger au premier coup d’œil, je ne vois pas pourquoi je vous reprocherais de faire comme moi ! »

Ils étaient tous comme ça, préoccupés par le regard qu’on avait sur eux, à ne pas juger trop vite, il ne voyait pas comment quelqu’un pouvait ne pas avoir d’idée au premier regard. Un point de vue était aussi fait pour être changé même si le sien, une fois fixé était souvent définitif.
N’ayant pas envie de prendre racines, il invita son interlocutrice à marcher lentement le long du lac.

La professeur regarda et écouta avec attention son interlocuteur. Ce qu'elle avait entendu de lui n'était pas très... plaisant, mais il avait après tout raison: les jeunes, si on ne s'y prenait pas avec force, ne retenaient rien. Enfin... cela dépendait aussi des jeunes, ses quelques années d'enseignement à domicile lui avait appris que certains demandaient juste à voir les choses une fois, alors qu'il fallait en gifler d'autres pour leur faire entrer quelque chose dans la tête. C'était une de ses méthodes, qu'elle n'appliquait que rarement puisque les parents n'aimaient pas vraiment voir leurs enfants chéris se faire "maltraitée" par leur professeur et ce, malgré que les enfants lui eussent manqué de respect de façon un peu trop désagréable, ou qu'ils décidassent de s'intéresser à ses enseignements pour en user à tord et à travers... Ce qui, heureusement, ne serait pas vraiment possible dans cette école. Ou du moins elle l'espérait: les vraies voies du sabre et du combats n'étaient pas tant la recherche du pouvoir et ce qui allait avec, mais plutôt se vaincre soi-même...
-Pardon, j'étais perdu encore dans mes pensées, je vous prie de m'excuser!
Elle sourit, se trouvant sur le coup un peu... bête; pour une fois qu'elle parlait avec quelqu'un elle trouvait le moyen de ne pas suivre ce qu'il disait... il n'y avait pas pire façon de faire les choses.
-Mmh... je ne suis pas certaine de vous aimer follement, Monsieur Ish Al Sizun mais je ne vous détesterai pas! Vous avez une personnalité qui tranche suffisamment avec celle de la plupart des personnes que j'ai eu la chance de rencontrer jusque là,alors cela m'intéresse, voilà tout. Bien que je suis certaine que vous vous en moquez éperdument!
De nouveau elle fit un grand sourire, avant de s'immobiliser brusquement. Elle était certaine d'avoir entendu un bruit qui n'avait rien à faire là. Mais ne captant plus le moindre son étranger, elle se détendit enfin et reprit, d'une voix toujours aussi enjouée:
-Mais puis-je me permettre de poser une question? Si vous n'aimez pas les jeunes, que faîtes-vous par ici, alors? Il faut avoir un minimum de patience pour supporter tous les enfants qui se blessent à tour de bras... C'est que vous devez avoir une motivation sacrément importante pour vous décidez à supporter tout ce petit monde...
Illalëe ne connaissait vraiment rien de son interlocuteur, si ce n'était les rumeurs qui circulaient à son sujet. Certains disaient qu'il réalisaient des potions sensées rendre malade tout élève qui osait aller le voir pour une toute petite égratignure. D'autres disaient qu'il faisait des expériences étranges, dont la finalité obscure semblait être de faire le plus de mal possible... il y en avait même qui, se basant sur nul ne savait quel raisonnement fantaisiste, prétendait que cet homme était un espion de l'Alliance... parce qu'il est tout simplement impossible pour qui que ce soit d'être aussi désagréable avec son entourage: n'importe qui de normalement constitué cherche à créer des liens avec les autres... pas à les rabaisser constamment!, songea-t-elle, se rappelant d'un des discours passionné d'une élève à une de ses amies.
Ces pensées la firent rire, et elle eut un peu de mal à s'arrêter; ce fut seulement lorsqu'elle se rappela qu'elle n'était pas seule qu'elle parvint à recouvrer un petit peu son sérieux.
-De nouveau je vous prie de me pardonner! Je me rappelais d'une rumeur qui circulait il y a quelques jours. Rien de bien important, mais elle m'avait fait rire. Enfin...
Illalëe sourit, pour la millième fois sûrement depuis qu'elle était en conversation avec le Petit Homme, ce qui devait, elle n'en doutait pas une seule seconde, devait la faire paraître pour stupide... mais elle s'en moquait éperdument: c'était sa nature à elle, et c'était cela participait à son identité; si elle devait avoir honte d'elle-même et de ses réactions... alors il ne servait tout simplement à rien de continuer à vivre!..
-Alors? pour quelle raison êtes-vous là? Sauf si, bien sûr, vous préférez vous taire là-dessus... ce que je comprendrais parfaitement!

Le silence s’installa au fil de leurs pas, le professeur semblait aimer se perdre dans ses réflexions, lui ne s’en préoccupait pas, regardant l’horizon lointain. Le doux vent caressait les végétaux de son souffle doux et apaisant.

Le temps qui s’était écoulé derrière lui s’effaçait peu à peu, bientôt le début de leur discussion, leur rencontre ne serait plus qu’une ombre. Le souvenir d’une discussion avec le professeur de combat n’était qu’un événement du hasard, il ne le faisait pas avancer jusqu’à son but et ne méritait pas d’être gravé dans son esprit. Il savait que la majorité des rencontres qu’il faisait n’était qu’une simple obligation, pour être normal, pour faire mine d’être présent sur ce monde. Une idée qui ne le gênait nullement, ainsi il ne s’attachait à rien, il restait fidèle à lui-même et ne garderait rien d’un long et lourd passé quand il retournerait là bas. Ce serait comme si rien ne s’était passé, les mois, les années, les siècles qu’il pouvait passer ici n’avaient aucune valeur psychologique, une seule chose comptait.

Il ne répondit pas à ses excuses, n’aimant pas parler pour ne rien dire, les gens pouvaient se confondre dans toutes ces excuses, jamais de tels mots ne sortiraient de sa bouche ni des « ce n’est pas grave ». A quoi bon s’excuser, ces mots avaient-ils vraiment un sens ?

« Tant mieux, je ne saurais que faire d’une femme. Et vous avez raison, je me moque de l’intérêt que je fais naître, du dédain, du mépris, de la peur. »

La liste de ces sentiments pouvait être longue encore mais il crut bon de se limiter à quelques exemples, si elle ne comprenait pas il ne pourrait rien faire pour elle, l’intelligence ne s’achète pas, on nait avec et on la développe.

« Vous serez sans doute déçue de l’intérêt que vous me portez, je ne me souviens pas que quelqu’un soit reparti satisfait d’une discussion avec moi. »

La voyant en alerte il s’arrêta à son tour, tranquille et impassible. Le bruit n’était que celui d’un animal que leur présence avait mis en fuite. Un ton moqueur se peignit sur son visage avant qu’il ne prenne un sourire amusé en entendant sa question.

Puis il fit mine d’être ailleurs et de n’avoir rien entendu, éludant volontairement cette question à laquelle il n’avait aucun désir de répondre. Les gens ici étaient curieux mais ils ne savaient pas qu’il avait tendance à punir cette indiscrétion.

Il observa son interlocutrice qui s’était plongée une nouvelle fois dans d’obscures pensées, pas que cela lui soit d’un quelconque intérêt mais son rire franc avait attiré son attention. Il la regardait, sidiéré, déjà qu’on croyait qu’il parlait tout seule mais elle qui riait sans véritable raison ? Un autre s’en serait offusqué, il était plus qu’impoli de rire d’une chose sans que son interlocuteur soit au courant. Une de ces stupides règles de bienséance, il s’était toujours demandé combien de temps il faudrait avant que les hommes ne retournent à leur état de nature, quand ils ne seraient plus que des bêtes sauvages qui finiraient par s’auto-exterminer. Ce jour là sera glorieux et sanglant, ce sera celui où tous payeront. Il s’en réjouissait d’avance.

« Eh bien, pourquoi ne voulez-vous pas me faire part de cette rumeur qui m’a l’air plutôt plaisante ? Si elle vous fait rire, laissez-moi rire avec vous. »

Son air moqueur ne semblait pas vouloir se détacher de son visage, une expression qui le caractérisait beaucoup depuis son arrivé à l’école. Mais il eut l’occasion de donner une autre interprétation quand le professeur reposa une nouvelle fois sa question.
Le silence prit sa place, laissant croire qu’il ne répondrait pas.

« Oh vous savez je ne suis pas venu ici par plaisir, mon jeune frère Kerem aurait dû venir ici mais il y a eu ce tragique accident… C’était de ma faute, il m’a fait promettre de prendre sa place. Je n’ai pas eu d’autre choix que d’accepter vous savez, j’ai été banni de chez moi depuis ! »

Les confessions s’étaient accompagnées d’un air mélancolique, d’un visage triste. Mais cela ne dura que le temps de ses quelques mots, bientôt son air jovial et méchant reprit le dessus, comme s’il n’avait rien dit, qu’il ne s’était jamais rien passé.

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