Avant le bal [ PV Årghann - Terminé ]

20h20. Une princesse n'est jamais en retard.
Sachant que cette réception n'était pas en son honneur, la jeune héritière de la couronne derviche ne s'était pas mise sur son trente-et-un. Devant le miroir de son dortoir, Perce-Neige s'assurait une dernière fois de l'impression d'ensemble que donnait son paraître ce soir. Sa tenue se composait principalement d'une robe de flanelle rose au liseré parme, avec une flopée de rubans aux endroits stratégiques, ouverte sur le devant et lacée sur une robe de soirée de soie blanche, rehaussée d'un jupon lui-même bordé de petits nœuds rouges. Au-dessus de ces deux ensembles, dont le léger décolleté restait d'une décence et d'une correction inhumaine pour une jeune fille de cet âge-là, elle avait passé la capeline rose qui s'alliait si bien avec cet ensemble. Chaussée d'une paire de ballerines roses aux lacets montants, il ne lui manquait plus qu'une de ses habituelles calottes pour être prête. Et, bien sûr, des tas et des tas de rubans, rouges, roses, violets ou bleus.
Elle en avait aussi passé dans ses cheveux, et elle se félicitait d'avoir commencé dès la fin des cours ce jour-là. Se préparer sans servante était plus difficile qu'elle ne l'aurait cru, mais une camarade de bonne volonté avait accepté de peigner ses cheveux. Pour la remercier, Perce-Neige avait promis de lui façonner des décorations en terre cuite ou des petits bijoux, quand elle en aurait le temps. C'était très facile, avec le pouvoir qui était le sien : il suffisait de se concentrer, de créer la forme désirée, d'attendre un peu que la terre refroidisse puis de vernir, et le tour était joué ! Mais elle n'avait certainement pas le temps de le faire ce soir; elle s'en occuperait durant la fin de semaine, entre deux devoirs.

20h23. Un problème de convenance auquel elle n'avait pas pensé.
Perce-Neige se tenait devant la porte de la salle commune qui menait vers le couloir, indécise. Elle se sentait bête, mais bête ! Quelle idiote. Comment avait-elle pu écarter ce fait ? La jeune fille regarda à gauche puis à droite, paniquée. Bon, il lui restait encore quelques minutes pour trouver une solution – elle ne mettrait pas plus de deux minutes à rejoindre la salle, non ?
Le problème était épineux. Elle ne savait pas comment le résoudre. Quelle honte ! Les premiers élèves déjà prêts la dépassaient et partaient vers la salle, la plupart sans la voir, heureusement. Elle ne saurait plus où se mettre après ça. Bon sang, elle avait pensé à tout – la robe, les chaussures, la coiffe, l'éventail, tout – sauf à ça. Elle se mordit discrètement la lèvre, cherchant dans ce qui l'entourait une solution. Rien n'irait; rien ne pourrait la sauver; il allait falloir qu'elle renonce à aller au bal, ce qui était tout aussi honteux – de deux disgrâces il lui fallait en choisir une.

Et elle se tenait là, devant la porte, l'air absent dès que quelqu'un approchait pour cacher son émoi... Elle n'avait pas de cavalier pour l'accompagner.

Perce-Neige était stressée, maintenant. Les secondes passaient et sa panique augmentait en mesure. Elle ne savait pas quoi faire et tout lui semblait brusquement impossible et honteux. Qu'allait-on penser d'elle et de sa patrie ? Elle était ambassadrice ! Sûrement la seule derviche qu'ils croiseraient jamais ces fichus élèves ! Et elle se trouvait là, superbe, apprêtée et parfaitement stupide. Sans cavalier. Personne ! Elle n'allait pas rentrer seule, comme par la porte de derrière, n'est-ce pas ? Pas elle, pas une princesse. Elle ne le voulait pas. Mieux valait ne pas y aller. Mais on l'avait vu sur le chemin; on saurait qu'elle était là et qu'elle avait renoncé à venir ! Tous la prendraient pour une... pour une nigaude, oh oui, et pour une malotrue. Et l'image de son peuple en pâtirait. Oh, qu'allait-elle faire ?
La jeune fille se mordit encore l'intérieur de la lèvre inférieure. Elle respira un grand coup et décida de se calmer. Ca ne marcha pas; l'énervement, la frustration et le mal du pays accumulés depuis ces deux semaines se bousculaient dans sa petite tête bien pleine. Il fallait qu'elle trouve une solution : elle allait devoir y aller seule, sans aucune idée de comment se comporter en une telle situation. On venait toujours au bal accompagnée, non ? Ce n'était juste pas correct de venir seule. Personne n'allait jamais seul au bal, sauf les jeunes gens et jeunes filles à marier – et ils y allaient avec leurs parents. Et elle ne voulait pas se marier !

C'est à ce moment-là – précis, hein – qu'arriva Årghann Mantel. La jeune fille avait discuté avec l'Ombre quelques jours auparavant et ils avaient connus quelques frissons ensemble, en parcourant les couloirs et souterrains du château, la nuit. Ils en étaient restés, selon les termes de Perce-Neige, « bons camarades » : potes, mais pas trop.
« Ah, Årghann, bonsoir ! Je suis contente de vous revoir. » C'était sorti tout seul. L'amélioration de leur relation était visible : depuis cette escapade nocturne, elle l'appelait par son prénom.
« C'est un peu gênant. Je voulais descendre au bal, mais je n'ai pas de cavalier et je me demande comment descendre seule. J'ignore beaucoup des convenances de ce monde. » Dit-elle en le regardant, rassurée de voir une figure connue, si asociale soit-elle.

20h25. Årghann était là.
Perce-Neige ne pensait pas y aller avec lui – ils étaient bons camarades, mais pas intimes – même si elle y serait au fond allé avec n'importe qui. Idiotement, elle s'était plus ou moins attendue à voir son cousin lui tendre le bras à la porte, comme au palais de son père. Elle aurait du se douter que ce n'était pas possible, n'est-ce pas ? Et maintenant elle se retrouvait seule. Rah, quelle idiote ! Après la panique venait la colère. Une fille bien éduquée comme elle aurait du y penser, n'est-ce pas ? Elle en aurait pleuré, si elle n'avait pas été en public.
Heureusement pour ses nerfs, elle était en public et elle comptait bien se calmer. Maintenant que quelqu'un lui parlait, elle ne pouvait pas se permettre de s'épancher à ce point sur son trouble. Il fallait qu'elle se montre digne; se laisser aller à tant de simagrées n'était pas son genre. C'était le stress de cette nouvelle vie qui la rendait folle; une bonne nuit de sommeil et il n'y paraitrait plus. Maintenant qu'elle réalisait dans quel état elle était, elle pourrait le combattre. Cette pensée lui permit d'offrir à l'Ombre le visage neutre et indifférend qu'il lui connaissait.

« Oui, très. Chez moi, on ne va pas seule au bal, c'est inconvenant. » Expliqua-t-elle doucement, passant outre la remarque sur le fait qu'elle l'appelait par son prénom. Peut-être n'avait-il pas aimé cela ? Elle nota qu'elle devait éclaircir ce point de détails plus tard et décida de ne pas l'embêter avec ça tout de suite. Ce n'était pas le moment.

Faire comme tout le monde fait... Mais je n'en ai aucune idée, de comment tout le monde fait ! Ca ne me dit rien du tout ! Songea-t-elle en entendant ses conseils. Ca aussi, ça n'était pas le moment d'en parler; à part sûrement dans la lettre qu'elle projetait d'écrire à son père. La réponse à sa dernière n'était toujours pas venue; elle l'avait envoyé un mois plus tôt, durant le long trajet vers l'école. Ce silence l'inquiétait : ce n'était pas du genre de son père de rester ainsi muet. Que se passait-il, à la maison ? Que pensaient, que faisaient les siens ? Comment allait son Royaume ? Elle n'en savait rien et devait se contenter d'attendre, d'espérer et de faire bonne figure. Pff. Elle aurait préféré être dans sa chambre à lire un bon livre que de devoir se coltiner tout le stress de cette soirée...

Lorsque le jeune homme proposa de l'accompagner, la derviche lui sourit poliement; un poids se souleva de ses épaules et elle se sentit tout de suite mieux. C'était là l'idéale solution à son problème : on lui proposait, elle acceptait, tout rentrait dans l'ordre. Si lui-même n'avait pas de cavalière, la chose était aisée et efficace !
« Avec plaisir. » Répondit-elle gentiment, se tournant vers lui qui partait déjà. Elle le rejoint d'un pas volontaire et posa doucement son bras sur le sien, confiante, à nouveau digne et sereine. Elle était toujours inquiète de sa patrie, mais moins de sa soirée.

« Allons-y. » Dit-elle.

[ Je te laisse poster au bal ? ]