A la lumière du soir [Svendira Kozlov]

Dimanche 19 septembre
Aux environs des 20h10

Le soir était tombé comme un couvercle sur le monde, les nuages épais ne laissaient pas transparaître la lueur des étoiles ni celle de la lune. Elles étaient loin de cette obscurité les grandes trainées vertes avec lesquelles il aimait jouer. Du bout du doigt il faisait ce qu’il voulait de ce phénomène que les étrangers qualifiaient de magique. Le ciel devenait alors la surface de ses dessins. Ici il n’y avait qu’une terrible chaleur, son corps lui-même semblait se réchauffer dans une horrible sensation. Il allait devoir s’y habituer.

Si la nuit avait été plus claire il serait resté dehors ou se serait rendu à l’observatoire pour contempler ce ciel qui le fascinait temps. Mais il ne reconnaissait rien, les étoiles avaient changé de sens, tous ses repères étaient inversés ou complètement différents, ici le soleil se levait d’un point à un autre au lieu de faire le tour du ciel. Cela lui donnait envie de faire des recherches et d’apprendre la carte du ciel qui correspondait à cette zone du monde. Il avait toujours aimé l’astronomie et était vraiment perturbé de ne plus pouvoir nommer tout ce qui brillait là haut. Et puis c’était la meilleure façon de se repérer dans l’espace la nuit, une technique dont il avait toujours cruellement eu besoin. Il se rendrait à la bibliothèque, quand l’astre du jour sera de nouveau là et haut dans le ciel bleu. Il avait déjà eu l’occasion de la visiter brièvement, stupéfié par son immensité. Il était certain qu’il trouverait son bonheur là bas, l’étendue du savoir s’ouvrait à tous ceux qui s’y intéressaient.

En attendant il s’était rendu dans sa salle de nécromancie, il ne savait encore comment l’aménager pour qu’elle puisse être plus personnelle. Pour ce type de magie on n’avait plus besoin de bougies ou d’autres éléments pour invoquer les morts quand on était devenu l’un des meilleurs. Et puis quel mort aurait refusé d’être appelé ? Ils aimaient trop le monde de la vie pour ne pas vouloir y retourner ne serait-ce qu’une dernière fois et l’appel d’un Iov se refusait rarement, après tout il était bien un peu des leurs. Il avait quand même entreposé ici un bon nombre de ces amulettes, il n’attendait pas de miracle de ces porte-chance mais il connaissait le pouvoir attractif qu’avaient certains d’entre eux sur les esprits.

Il avait allumé quelques chandelles qu’il avait posées sur son bureau pour avoir encore un peu de lumière. Morgat était occupée à ronger un os qu’elle avait trouvé on ne sait où, elle aussi était nostalgique, le sable brûlant de ses terres natales lui manquait. Il lui avait promis d’y revenir un jour.
Assis à son bureau il poursuivait l’écriture de ce qu’il appelait son testament, la narration n’était pas linéaire, il faisait des bons d’un moment à l’autre de ce qui semblait être son histoire, ses souvenirs, il aimait aussi revenir sur certains passages de son existence. Mais si parfois ses souvenirs paraissaient linéaires quand il écrivait tout était confus, mélangé en un tout indissoluble, comment arriver à raconter une telle chose ? Il était impossible que quelqu’un comprenne ce qu’il disait mais il gardait son optimisme, un jour, peut être…

Le soir marquait une rupture dans la vie de l’école, les élèves se rassemblaient dans les espaces qui leurs étaient consacrés, passaient du temps avec leur dragon ou à l’extérieur, les fréquentations du sous-sol s’en trouvaient bien moindres et seuls quelques échos résonnaient dans le couloir de pierre. Il avait laissé la porte ouverte pour conserver de la fraicheur dans sa salle. Quelle bonne idée les fondateurs avaient eu de placer ses cours dans des salles au sous-sol, l’hiver elles seraient glaciales, comme là-bas !

Son arrivée avait été riche en rencontres, la plupart amicales, d’autres un peu moins. Il avait été étonné de voir à quel point il pouvait exister de races, les élèves venaient des quatre coins de ce monde et aucun ne se ressemblait. Cette diversité était l’assurance de rencontres intéressantes, peut être qu’il apprendrait des choses sur des cultures dont il ne connaissait même pas encore le nom !
Il souriait alors que sa plume glissait sur la feuille granulée du livre, s’il allait avoir un mal fou à s’habituer au climat d’ici et aux différences il ne regrettait pas pour autant d’être venu.

Morgat perçu une présence s’approcher, une dont elle détestait l’odeur à des kilomètres à la ronde, elle grogna discrètement. Ne les laisserait-on jamais en paix ?