Recherches [Nino Elenwë]

Lundi 12 Septembre, 13h12
Bibliothèque

La sonnerie annonçant la pause déjeuner avait sonné depuis quelques minutes déjà, assez pour qu’il s’enfuit de la salle du cours de magie offensive pour rejoindre la bibliothèque. Il avait besoin de souffler et de s’éloigner des autres élèves car le cours avait été moralement difficile pour lui, comment apprendre à quelqu’un l’utilité de se battre quand la guerre n’existait pas dans ses mœurs ? Il n’y avait même pas de mots pour ça dans sa langue natale, lorsque quelqu’un entrait dans la forêt on utilisait le mot « arrivée », c’était celui qui décrivait le mieux ce qui pourrait se passer et chacun savait qu’à cette alerte ils devaient se cacher.

Heureusement à cette heure là la majorité des élèves étaient trop affamés pour aller travailler dans la bibliothèque et tous s’étaient dirigés vers le réfectoire. Le lieu qui pour lui était le plus important de tous n’avait pas encore été trop envahi, ceux qui avaient commencé à travailler allaient dans les salles communes et tant que l’année n’aurait pas trop avancé il pourrait connaître ce calme qui lui allait à la perfection.

Il commença par sortir de son sac les cours où ils avaient déjà des devoirs et fini les plus faciles puis ouvrit différents livres pour se plonger dans les derniers points du cours qu’il ne connaissait pas encore et ce qu’on leur avait donné en supplément. Il appréciait beaucoup qu’on leur donne des choses en plus, n’étant jamais allé à l’école il avait craint que les professeurs ne se contentent de dire avec quelques phrases changées ce qui était inscrit dans les manuels.

Travailler lui permettait d’oublier le monde qui l’entourait et sa concentration extrême effaçait les auras autour de lui, il n’éprouvait rien d’autre que le calme et la tranquillité qui lui étaient si chers.

Il ne savait pas à quelle heure il allait manger mais il pensait avoir le temps d’écrire à plusieurs de ses amis et de se mettre en quête de nouveaux livres à lire qui pourraient l’instruire sur les recherches de ses amis ou approfondir les cours que ce soit ceux qui le passionnait le plus ou ceux qu’il détestait plus que tout.
Chercher des livres sur la métamorphose lui paraissait le plus important, il souhaitait pouvoir s’améliorer en dehors des cours de Nocturne qui n’étaient pas assez nombreux pour qu’il puisse voir un progrès net, surtout que certaines formes demandées lui donneraient à coup sûr des difficultés dans la matière s’il ne trouvait pas comment s’éloigner de sa forme d’origine.

Cédant à son empressement il laissa ses cours sur la table pour explorer le dédale de rayons qu’il connaissait déjà par cœur.

Il parcourut les rangées de livres avec délice bien qu’il n’y trouva que peu des choses qui pourraient l’intéresser ou lui en apprendre un peu plus sur les manières d’exploiter son élément et de l’utiliser sans danger. Il savait depuis longtemps que les livres très poussés sur les éléments se faisaient rares voire inexistants et il était persuadé que les hommes une fois aguerris pensaient qu’il était mieux que chacun apprenne par soi-même plutôt qu’avec une longue liste de sorts et d’expériences qui était loin d’être le meilleur des apprentissages. Il savait aussi que pour atteindre la virtuosité dans ce domaine il fallait faire preuve d’une patience inébranlable et surtout d’une grande persévérance. C’était pour cela qu’il s’exerçait chaque jour pendant des heures lorsqu’il n’était pas le nez plongé dans des grimoires poussiéreux qui n’avaient dû être ouverts par personne d’autre que lui depuis qu’ils étaient ici.

Il ramena avec lui quatre livres qui se démarquaient un peu de tout ce qu’il avait déjà lus et dont la taille était assez conséquente pour satisfaire sa soif de grand lecteur. A sa grande surprise il vit que quelqu’un s’était installé à sa table sans qu’il en perçoive la présence, sa recherche l’avait distrait et pas même Eärlàlith n’avait pris la peine de le prévenir, l’inconnu devait être sans danger.
En se rapprochant rapidement il reconnut l’aura d’un élève de sa classe qui l’avait interpellé lorsqu’il l’avait vu la première fois. Il semblait avoir dans son aura plusieurs ressemblances de caractère avec le demi Sprid’en telles une éventuelle curiosité et quelque chose comme de la loyauté qu’il arrivait à peine à entrevoir derrière un brouillard qui ne lui plaisait guère. Il savait que l’aura des autres évoluait en fonction de la relation qu’il avait avec eux et par expérience devinait que ce qu’il voyait faiblement était le comportement qu’il devait adopter avec des personnes particulières comme les amis ou la famille. Il avait seulement reconnu en lui un enfant de lune mais comme la plupart des élèves il ne connaissait pas encore son nom et avouait qu’il ne s’était que rarement intéressé à eux.

Il lui semblait qu’il avait senti plusieurs fois sa présence dans la bibliothèque mais n’en était pas très sûr, c’était bien l’un des rares lieux où il ne ressentait pas avec force qu’il était entouré de personnes tant il faisait preuve de concentration en travaillant ou en lisant. Apprendre était non seulement très important pour lui mais cela lui permettait aussi d’échapper à un monde qui l’oppressait et où il fallait toujours lutter pour ne pas sombrer dans les tourments que de forts sentiments pouvaient provoquer en lui. Ici les tatouages, aussi nombreux qu’il le pouvait n’auraient servi à rien et seule une grande force morale et une régulière distraction lui permettait de s’en sortir, sinon il serait déjà parti, à regret mais avant que ses facultés n’ébranlent de trop son esprit.

Le jeune homme qui devait être de son âge lui adressa la parole à peine fut-il arrivé à sa table, il fut surpris à nouveau en comprenant qu’il lui avait apporté de la nourriture, il ne savait pas qu’on avait le droit d’en amener dans la bibliothèque ni qu’on pouvait manger en dehors du réfectoire.
Il observa un instant les deux assiettes avant de lui répondre.

« C’est gentil de ta parrt, j’airr plutôt l’habitude de mangerr peu et trravaillerr me fait oublierr ma faim mais il n’emrrpêche que je dois mangerr comme tout le monde ! »

Sa voix était faite d’un doux murmure et il lui sourit, espérant qu’il comprenait ce qu’il lui disait.

« Aurr fait nous ne sommes pas prrésentérr, je suis Kièrrran von Görrrlitz, je ne connais parrs ton nom parr contrre… »

Il était piqué par la curiosité, pourquoi une semaine après la rentrée l’enfant de lune venait-il faire connaissance ? En arrivant ici il n’avait pas cherché à connaître les gens autour de lui, convaincu qu’il était bien plus agréable de se lier d’amitié avec quelqu’un par hasard plutôt qu’en s’empressant d’apprendre tous les noms de ses camarades et en leur sautant littéralement dessus. Il n’avait d’ailleurs adressé la parole à presque personne en dehors des brèves discussions avec des élèves de sa maison ou de sa classe et de sa rencontre avec Nocturne.

Il commença à manger au hasard la nourriture qui était présente dans l’assiette la plus près, ayant beaucoup voyagé il n’était pas très difficile à contenter surtout que tout ce qui était cuisiné ici était au moins délicieux. Il attendait que son interlocuteur lui réponde ou lui demande tout simplement de répéter son charabia à peine audible.

Alors qu’il mangeait tranquillement son camarade, avec qui il avait suivi la majorité des cours ou au moins ceux obligatoires et les deux options demandées, prononça son nom.

« Ach oui je merr souviens de toi mairrtenant. »

Il n’avait noué de lien avec aucun de ses camarades de classe mais il n’empêchait pas qu’il connaissait les noms de la plupart d’entre eux, surtout les quelques uns qui s’étaient fait remarquer pour différentes raisons : savoir, gaffes ou tout simplement impertinence et bavardages.

Le jeune homme se demandait quand même pourquoi il venait lui parler, ils étaient tous différents et particuliers ici, alors pourquoi lui ? Il devait passer pour un garçon livide, toujours plongé le nez dans un bouquin, qui a toujours réponse aux questions les plus tordues des professeurs et qui connaît des choses dont personne n’aurait soupçonné l’existence. Mais il n’était pas de ceux qui faisaient facilement connaissance, il ne cherchait pas particulièrement des amis ici, son principal objectif était de travailler et d’améliorer sa polymorphie. Pourtant comme tous les autres il ne serait pas venu ici si ce n’était pas une école de dragonniers mais lui avait déjà son œuf, rares étaient ceux qui en avait trouvé avant. Il n’avait pas choisi Eärlàlith parce qu’il voulait un compagnon de route, c’était le dragon, encore dans son œuf qui l’avait choisi et attiré jusqu’à lui.

Les dragons étaient très particuliers, il n’avait pas besoin de paroles pour communiquer avec lui et le comprendre, il n’avait pas besoin de livres pour en savoir plus sur les dragons il lui donnait toutes les réponses. Il avait quand même suivi le conseil de son maître et s’était inscrit à l’école, être en contact avec des spécialistes n’était pas quelque chose qu’il pouvait laisser passer, pas lui en tout cas : Kièran von Görlitz yl Morfilith.
Cependant il n’aimait pas le système de l’école, il ne comprenait pas le but d’avoir des horaires précis et de faire telle matière pendant un laps de temps déterminé puis d’aller autre part pour apprendre autre chose. Ce n’était pas comme ça qu’il fallait apprendre, se laisser guider par la curiosité et avancer progressivement, à tâtons était plus bénéfique que d’écouter des professeurs parler d’un sujet bien précis alors qu’on ne leur avait posé aucune question. Ils faisaient perdre une partie du savoir ainsi, ils étaient comme des livres, il n’y aurait eu qu’à rajouter ce qu’ils disaient en plus pour que ce soit la même chose. Apprendre par quelqu’un est nécessairement basé sur un échange, seul le dialogue entre un professeur et son élève pouvait les faire progresser tous deux et aller lentement vers le Savoir.

Kièran venait d’une terre lointaine, d’un autre continent et la culture s’en trouvait profondément différente, il n’avait jamais vu ni entendu parler de ce type d’enseignement et de ses bénéfices intellectuels auparavant.

Soudain il se rendit compte que Nino venait de lui poser une question. Cela lui fit penser qu’il était peut être seulement là parce qu’il s’intéressait à lui et qu’il avait envie de le connaître.

« Plus ourr moins, j’essaye de compléterr les courrs, de trrouverr quelque chose de plus intérressant que ce que l’onrr fait maintenant. Et puis j’airrde un ami dans ses rrecherrches surr le comporrtement prrimairre des êtrres sous l’influence d’un élément psychologique. J’ai essayé de trrouverr quelque chose surr la métamorrphose mais il n’y a rrien d’autrre que les banalités ou les crroyances habituelles. »

Il passa subitement de l’enjouement du passionné à une légère tristesse, il n’était pas vraiment déçu, mais perdu dans l’immensité du savoir qu’offrait la bibliothèque il appréhendait un peu de se lancer dans quelque chose de totalement nouveau et différent.

« Et toi querr fais-tu ici ? »

Ayant fini de manger il se mit à ordonner et ranger les feuilles qui jonchaient la table, éparpillées sans la moindre logique comme si dans sa rapidité il n’avait pas pris soin de classer ce qu’il avait écrit au fur et à mesure de ses recherches. Se mêlaient alors une lettre d’un de ses amis, quelques feuilles des cours qu’il avait révisés et des notes sur ses dernières recherches.