Leçon I: métamorphoses et danger

Vendredi, 10H45

Le soleil était fort dans le parc, et Nocturne réprima un frisson. Non pas que ce soleil la dérangeait outre mesure, mais elle préférait bien plus la nuit, plus rassurante et porteuse d'une tranquillité agréable.Cependant la plupart des élèves, voire la totalité, vivaient plutôt le jour, alors...
La jeune femme sauta du muret où elle se tenait et se dirigea vers la salle de cours qui lui était réservée. Elle y entra, posa son petit sac qui ne lui servait qu'à transporter un bloc-notes et des stylos, et s'assit à même le sol. Elle s'abîma ainsi dans une sorte de semi-transe qui lui permettait de se détacher un peu du monde dans lequel elle évoluait habituellement et de retrouver une certaine paix intérieure. Cet état lui offrait la possibilité de toucher également à l'essence même de son pouvoir, ce qu'elle ne parvenait à faire en étant parfaitement éveillée; elle trouvait cette incapacité relativement handicapante, la privant de nombreuses possibilités toutes plus intéressantes les unes que les autres.

C'était Gardënn qui lui avait enseigné le moyen de toucher l'essence même de son pouvoir. Il lui avait bien précisé que cela ne pouvait se faire qu'en étant extrêmement calme et reposé, et qu'il ne fallait absolument pas compter là-dessus pour s'en sortir en cas d'attaque ou autre. L'avantage de pouvoir ne serait-ce qu'effleurer son essence, c'était de pouvoir accéder à un potentiel de magie relativement important, qui pouvait mener à exécuter des choses que l'on aurait tendance à qualifier d'impossible.

La pendule que la professeur avait mise dans sa salle sonna un coup, rappelant tout-à-coup Nocturne à la réalité. Il n'était pas encore 11H00, mais ce n'en était pas loin. Heureusement qu'il y avait cette pendule, sinon ses élèves auraient eu la désagréable surprise d'être venus pour rien, et ce dès le premier cours.
Nocturne se leva, presque à contre-coeur, et alla ouvrir la porte de la salle qu'elle avait fermée à clef pour ne pas être dérangée.

Entrez donc, n'hésitez pas. Je ne vais pas vous mordre.

Les élèves, des premières et deuxièmes années confondues, pénétrèrent dans la salle, certains avec une certaine appréhension, d'autres plutôt confiants.
Elle alla rejoindre l'estrade et attendit patiemment que la totalité des élèves fût entrée pour refermer la porte par la pensée.

Bonjour à tous et toutes. Je suis Nocturne, votre professeur de métamorphose. Mais appelez-moi donc Professeur, je vous prie.

Elle jaugea du regard les élèves ici-présent, et ressenti un léger malaise. Elle avait perdu l'habitude de côtoyer autant de monde, et surtout d'en être le centre d'attention. Mais ce n'était pas ce léger sentiment qui allait la faire perdre pied.

Certains d'entres vous me paraisse déjà plutôt doués en ce qui concerne cette matière, mais j'aimerais savoir qui, parmi vous, n'a jamais ne serait-ce que tenté, d'effectuer une métamorphose?

Nocturne attendit patiemment que les élèves concernés se manifestassent, puis repris.

Bien. Certains d'entres vous penseront que cette matière est plutôt simple, parce qu'il ne s'agit que de tromper l'ennemi, au final. A cela je répond que c'est ainsi qu'il faut voir les choses. Lorsque l'on se métamorphose, on ne devient JAMAIS l'être dont on a emprunté l'apparence

Pour accompagner ses dires la professeur prit l'apparence d'un corbeau, donna quelques coups d'ailes, puis reprit rapidement sa forme d'origine.

J'ai pris l'apparence d'un corbeau, et pourtant je n'étais pas un corbeau. Cependant, là réside le problème...

Nocturne marqua un temps d'arrêt, histoire de laisser le temps à certains d'assimiler ses dires, et aux autres de poser leurs questions, si question il y avait. Puis elle poursuivit, parlant un peu plus bas.

Certains ont tendance à l'oublier mais la métamorphose n'est pas sans danger. Elle peut même être extrêmement destructive pour celui qui s'y essaie, s'il n'a pas l'esprit en adéquation avec ce qu'il entreprend.

De nouveau elle les jaugea tous du regard, et reprit, sur le même volume.

Règle primordiale en métamorphose: qui ne sait pas qui il est se verra perdue dans ses métamorphoses, et risque fort de DEVENIR ce dont il a pris l'apparence. Des questions à ce sujet?

Onze heures sonnèrent et il fut vraiment heureux de quitter le cours d’animologie, pas qu’il soit inintéressant d’ailleurs il était convaincu que ce cours lui servirait beaucoup pour ces études, après tout les animaux n’étaient pas si éloignés de hommes. La raison de son empressement était le cours suivant, celui qu’il attendait le plus, il avait découvert avec regret qu’il ne commencerait que vendredi et avait espéré que la semaine passe vite.

Maintenant qu’il était l’heure il se réjouissait d’avance et se dépêchait de se rendre dans la salle de classe avec d’autres élèves qui suivaient ces deux options. Ils arrivèrent quelques minutes en retard car la distance était grande entre l’enclos et l’aile ouest. Il put s’asseoir dans son coin préféré, ne quittant pas des yeux le professeur une fois installé.
Il ne savait que trop comprendre de ce qui émanait d’elle, c’était sans doute plus complexe pour lui car il avait l’impression de ne pas avoir eu beaucoup affaire à ce type de caractère, il ne connaissait d’ailleurs pas sa race et la seule chose qui lui apparut fut qu’elle était liée à la peur. Intrigué il se mit en tête de faire des recherches sur les races, l’école était un bon terrain pour ce type de travail, il avait l’impression que les gens venaient tous des quatre coins de ce monde, voir de mondes complètement différents.

Il aimait beaucoup la métamorphose et ce n’était pas parce que son élément était la polymorphie mais tout simplement parce que se transformer en un autre corps permettait de comprendre beaucoup de choses que quelqu’un d’autre n’aurait pu voir dans son état normal. Le fait de ne pas devenir à part entière l’animal dont on prenait l’apparence lui paraissait évident, il ne s’était jamais considéré comme un tigre lorsqu’il se transformait ou en un tout autre animal. Il se contentait d’en prendre l’apparence et de développer autant que possible à ce moment là les qualités qui lui sont propres afin de s’en servir à son avantage ou à celui des autres.

Il fut en fait choqué par le discours du professeur « tromper l’ennemi ? » était-ce réellement pour cela que tous devaient apprendre à changer de forme ? Il eut l’impression d’être entré dans une caserne militaire où tout le savoir donné ne servait qu’à tuer celui qui se trouvait en face. Pourquoi les hommes pensent-ils toujours que l’on doit apprendre dans le but de se battre, d’être vainqueur et de se trouver au dessus des autres ? Sans doute était-ce quelque chose qu’ils ne comprendraient jamais, si la mort faisait partie de la vie ce n’était pas pour autant qu’il fallait l’accélérer ou tout faire pour mettre fin à celle des autres. Tuer, tromper, pervertir… quel en est le but réel ? Au fil du temps il avait compris que beaucoup d’hommes se donnaient des règles seulement pour ne pas avoir l’air d’être des monstres et qu’ils n’étaient bons qu’à franchir leurs interdits.
Il se sentait devenir quelque peu misanthrope et abandonna ses idées noires, se concentrant sur la suite de son discours.

Les dangers bien sûrs étaient réels mais pour lui n’avaient pas tant d’importance, la métamorphose était pour lui quelque chose de presque machinal, il avait comprit que ses limites n’étaient que celles de son esprit comme pour toute magie et avait analysé si bien les dangers qu’il n’y pensait presque jamais, ayant inclus dans son comportement une perpétuelle prudence.

Lorsque le professeur eut fini il leva la main et parla de sa voix ronronnante et si douce que c’en était presque un chuchotement.

Prrofesseurr, esrrt-il possirrble pourr ceux quirr n’ont pas pourr érrlément la métamorrphose ou un érrlément similairre de se trransforrmerr en autrre chose qu’un arrnimal ? Je veux dirre prrendrre votrre apparrence ou la mienne parr errxemple ? J’airr beaucoup cherrché lesrr lirrmites de ce type de métamorrphose maisrr je saisrr que pourr moi c’est possirrble.

Il la regarda, ne sachant trop si elle avait entendu et compris ce qu’il avait dit et se demanda si sa question avait vraiment un rapport avec ce qu’elle avait dit. Peu importait, il voulait savoir de toute manière.