Premiers vertiges [Ysandre Neö - Dmitri Vannovski]

PREMIER POST D'YSANDRE NEÖ

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Lundi 20 Septembre, à 19h00

Une fois arrivée en haut des marches, Ysandre Neö se figea pour considérer l’extraordinaire espace qui s’amorçait déjà. Les yeux perdus dans la densité de la voûte, elle se sentit à la fois happée et écrasée. Cette école affirmait sa grandeur rien que dans le hall d’entrée. Cela promettait !
Mais en tant qu’Espionne, elle savait que les apparences cachaient bien souvent leur contraire. Si Maethra Magthere s’appliquait autant à imposer sa splendeur, cela suggérait l’importance de ses failles. Et ces failles-là, elle s’était jurée de les découvrir peu à peu, avec la toute patience, la délicatesse et le calme dont elle était capable.

Pour se hisser en haut de ces marches, chaque pas avait semblé peser davantage. Etait-ce dû à l’épaisseur de ses bottes ? Ou bien simplement à l’appréhension croissante dans son coeur… Non, impossible. La jeune Nymphe avait appris à contrôler ses émotions, à réfréner sa naïveté. Trois ans auparavant, la vie l’avait forgée à cela, oui, forgée comme un vulgaire objet : la cicatrice demeurait sur son omoplate, éternel tiraillement que nulle caresse n’apaiserait. Cette cicatrice-là incarnait une porte béante sur sa haine. Ysandre n’avait pas besoin de regarder pour ressentir ce symbole aimé dessiné par le métal et la flamme. Dans son dos, à jamais, palpiterait le rappel de la vie et de la mort.

Elle n’était qu’un instrument, elle le savait. L’Alliance ne viendrait pas la sauver si sa véritable identité était découverte. Leur fraternité ne résidait que dans l’entraînement intensif et dans le sacrifice pour la cause en laquelle ils croyaient tous, ces êtres déchus et damnés. En acceptant cette mission, Ysandre acceptait l’entière responsabilité de réussite ou d’échec. L’Alliance était devenu son nouvel Arbre, elle en protègerait les intérêts envers et contre tout.

Une étrange brise s’éleva dans son dos, coïncidant avec le point vers lequel tendaient ses pensées. Quelque part retentit un battement d’ailes, mais Ysandre ne distingua aucun volatile. Ses poings couverts de vieux gants en cuir se refermèrent machinalement, attitude de résignation typique à sa nature de Nymphe du Cerisier.

Bizarre que personne ne vienne m’accueillir, songea-t-elle perplexe.

La missive annonçant son arrivée avait pourtant dû leur parvenir. Avec sa lettre de motivation et la description de ses compétences avaient été inclus des témoignages de gardiens de dragonniers d’une lointaine contrée. C’est fou comme même une prestigieuse signature s’arrache facilement sous la torture !

Maintenant, il s’agissait de donner une bonne présentation. Que penserait l’Ecole de ce grand androgyne efflanqué..?

Ysandre fit quelques pas, qui résonnèrent d’une façon incroyable. Etonnée par l’ampleur de l’écho, elle oublia un peu la rigueur et s’amusa à tourner en rond, frappant ses talons plus fort sur le sol. Parfois, en de brefs instants, elle redevenait l’esquisse de l’enfant déraciné qu’elle gardait tapie au fond d’elle.

Le cours de techniques Vaudou s’était achevé sans qu’il comprenne vraiment pourquoi, Morgat dut lui rappeler que le temps était ainsi, que chaque chose avait un début et une fin, tout sauf eux. Mais elle qui était si proche de lui n’arrivait pas plus que les autres à lui faire comprendre cette notion, toutes les explications se valaient, il se trouvait devant un problème trop complexe et différent pour qu’il puisse le comprendre.

Etre avec les vivants ou les morts c’était accepter leur vision et devoir s’y conformer autant qu’il le pouvait. Devenir professeur n’avait pas été un des choix les plus judicieux de son existence, être présent dans un lieu à une heure fixe ne voulait rien dire pour lui, pourquoi tous ces gens ne se réunissaient pas comme les siens, seulement attirés comme des aimants ? Pour eux cette force n’existait pas, elle n’était que chimère, tout comme lui le deviendrait. Les autres l’oublieraient, douteraient de son existence, se demanderaient s’il avait vraiment été là ou s’il n’était que le fruit de leur imagination, de la manipulation des forces au-dessus d’eux.
Ce monde là savait se perdre dans ses illusions, Morgat devait connaître la vérité, elle devait savoir discerner la réalité parmi toutes ces tromperies, ces influences. Peut être que non, la quête de la vérité était vaine.

Il avait répondu à la fin du cours aux questions de ses élèves, leur avait conseillé diverses lectures pour mieux comprendre le Vaudou. Mais son esprit était ailleurs, là où la brume marine et les grandes trainées vertes se mélangeaient. Il avait sillonné sans relâche les limites de sa cage, il était condamné, par trois fois il tomberait dans l’abîme. Un vertige le prit.

Il avait pris l’habitude que les invoqués le côtoient, ils étaient d’une agréable compagnie, eux qui avaient vu les deux côtés de leur propre existence. Leur tour venu ils finiraient par disparaître, aussi légers qu’une brise il n’y aurait plus personne pour se souvenir d’eux. On lui avait dit parfois que la véritable mort c’était l’oubli, se rendre compte qu’il n’y avait plus personne pour penser à eux, alors il valait mieux commencer le voyage et oublier à son tour. Le monde des morts lui avait toujours apparu comme plus complexe que celui des vivants, sans doute parce qu’il était moins connu. Lui connaissait trop bien se royaume, ceux qui y habitaient et ce qu’ils deviendraient. Savoir ne rendait pas son existence plus facile ou plus heureuse, vers quoi couraient donc tous ces mortels ?

Plus rien n’avait de sens dans son esprit, il devait trouver quelqu’un, rapidement, avant de sombrer dans la folie. Il fallait qu’il oublie ses pensées noires, la réalité de sa condition.

Il quitta sa salle, les élèves étaient partis depuis bien longtemps, heureux d’avoir à nouveau du temps libre, il ne connaissait pas cette joie. Il se décida à sortir, ne sachant pas vraiment où il pourrait trouver des compagnons pour lui changer les idées. Il prit l’escalier en compagnie de Morgat et d’une tasse de thé et se retrouva rapidement dans le grand hall d’entrée. Il n’avait jamais compris pourquoi une pièce si grande avait été construite, si elle était sensée intimider les nouveaux arrivants ça n’avait pas marché avec lui.

Des bruits retentissaient dans la pièce et il n’eut aucun mal à en repérer l’origine : une personne qui s’amusait de ces sons en tournant en rond.
Un nouveau vertige le prit, cette personne ressemblait à un chasseur, à l’un de ceux qui viendraient le chercher. Il s’approcha prudemment, elle ne l’avait pas encore remarqué. Il fut soulagé il ne s’agissait que d’un mortel, un mortel qui lui avait donné une curieuse impression, peut être qu’il chassait autre chose.

- Bonsoir, lança-t-il en sa direction.

Il souriait tranquillement et s’était arrêté à une dizaine de pas de l’inconnu.
Morgat était de mauvaise humeur, elle prit un air boudeur et s’assit aux côtés de son maître. Brusquement le hall d’entrée disparu au profit d’un cachot sombre et humide, des bruits métalliques et angoissants avaient remplacés ceux des pierres.

Ysandre avait l’habitude de se tenir sur ses gardes. Ses membres, sensibles comme des feuillages, captaient sans cesse les moindres frémissements de la faune et de la flore. Mais aujourd’hui, sans doute à cause de cet instant d’abandon dû à la conviction de se trouver entièrement seule dans un lieu aussi vaste, elle manqua de réagir assez tôt à l’approche de l’homme. Aussi son “bonsoir” la fit sursauter. Elle fit volte face et recula immédiatement de quelques pas, suffisamment pour laisser une distance respectable entre eux.

La Nymphe eut à peine le temps d’observer son interlocuteur que déjà l’ambiance se déformait : les bruits changeaient de nature, une magie étrange semblait même tordre légèrement l’air. S’agissait-il d’une provocation ? D’un test visant à déceler chez le nouvel arrivant une capacité de réactivité et de combativité ?
Perplexe, Ysandre joignit les mains sur son coeur, ferma les yeux afin de se concentrer profondément. Du fond d’elle-même, de son essence la plus pure, elle invoqua l’esprit du Cerisier. Sa poitrine chauffa et s’illumina. Elle écarta brusquement les bras, envoyant une tornade de pétales balayer les environs. Les tourbillons roses chassèrent les morbides illusions, créant un vent magique particulièrement efficace. Puis, une fois l’atmosphère rétablie comme auparavant, tous les pétales disparurent.
Dans cette brève connexion des auras, Ysandre avait deviné que l’homme en face d’elle et son drôle d’animal avaient quelque chose en rapport avec une magie sombre. Cela lui semblait familier, elle qui avait fréquenté tant de créatures démoniaques au sein de l’Alliance !

Bonsoir répondit-elle en hochant la tête tout en gardant un visage extrêmement froid, Je suis Ysandre Neö, nouveau Faïlariël.

Ne laissant pas le temps à l’homme de se présenter, elle questionna :

Avez-vous reçu l’instruction de me tester ? Si c’est le cas, je suis prêt.

Elle de plaça de biais, le pied droit en avant, les paumes levées vers le ciel, griffant le vide comme pour suggérer une future attaque. Les tests, Ysandre connaissait. L’Alliance ne se contentait pas de recruter des guerriers, elle les mettait sans cesse à l’épreuve pour évaluer leur niveau de magie et surtout la puissance de leur résolution. Chez Ysandre apparaissait toujours la même chose : abnégation. C’était la plus grande force des Enfants du Cerisiers.

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