Bain et devoir à la pénombre (Solo)

Samedi, le 18 septembre

Bien avant l'aube

Plouf…
Le bruit se réverbéra sur les murs humides de la pièce, sa faufilant dans la suivante, puis celle d’après, tout en s’éteignant de lui-même.
La douce lumière d’une unique chandelle vacillait contre les parois de la chambre, parvenant à peine à éclairer un coin de la large bassine.
Dans le noir on entendit le bruit d’un être de chair perçant la calme surface de l’eau. Une bruyante respiration s’en suivit. Les gouttes d’eau coulant de ses cheveux venaient frapper le liquide avec une grande force sonore. Le garçon essuya rapidement ses yeux avant de les ouvrir. Seul dans la pénombre, ses pupilles tachetées d’or captaient les minces rayons de la chandelle réfractés pas la condensation des murs. Les petites anormalités oculaires renvoyaient de façon particulière la lumière, créant un ciel étoile sur ce plafond bas que le jeune homme s’émerveillait à contempler. Après s’être laissé flotter ainsi durant quelques minutes, Nino Elenwë nagea tranquillement vers la lumière. Il cueillit son œuf sur la céramique froide et, après une légère hésitation, le plongea délicatement dans l’eau chaude. Il s’assit sur un banc, moulé à même la paroi du bain, croisa ses jambes puis logea son compagnon contre son corps glacé.

Dans l’unique but de se retrouver seul dans le calme réconfortant et sécuritaire de la noirceur, Nino s’était levé très tôt ce matin là, plus tôt encore que les servants du château. Le silence complet n’était pas même rompu par sa respiration tranquille et détendu. Trempant dans une eau délicatement aromatisée, l’enfant de lune laissait sa peau irritée se restaurer et ses muscles tendus reprendre leur consistance habituelle. Le garçon étudiait calmement, du bout de ses doigts, la surface de la coquille qui avait été mise à sa disposition. Il en distinguait tous les traits; les creux, les rainures, les microvillosités, les douces parties vierges, il en était venu à connaître sa coquille sur le bout des doigts !

Nino resta ainsi durant plus d’une vingtaine de minutes, simplement assis dans l’eau, serrant son œuf contre lui. Puis il se ramena vaguement à la réalité et se défit de sa position de fœtus en s’étirant. Il saisit son œuf entre ses deux paumes et plongea dans les profondeurs du cratère. Ne se propulsant qu’avec ses jambes, Nino s’enfonça de plus en plus profondément dans l’eau sombre, qui bientôt devint un abysse noir où la pression et le froid allait en augmentant. Le froid éveilla les sens de Nino, la pression qui resserrait sa poitrine était pour lui comparable à un étreinte vivifiante, le noir ne le gênait point. Il sentit les paumes de ses mains picoter sur la paroi organique, son compagnon aussi semblait se délecter de cette caresse agressive, mais le manque d’oxygène obligea Nino à regagner la surface avant d’atteindre le fond de l’abime. En refaisant surface, Nino emplit ses poumons de l’air humide et lourd mais comment soulageant de la salle des bains. Puis il regagna le rebord et tira jusqu’à lui son matériel.

Nino s’était levé ce samedi là avec dans l’idée de profiter de la noirceur, mais aussi de faire de son mieux pour compléter son devoir d’invocation qui était dû pour le mardi suivant. Il était donc assis à l’envers sur un banc, les doigts dans les cheveux, l’esprit vide, à essayer de se rappeler ce que le professeur Oscar avait enseigné. La première question en elle-même le laissait perplexe et sans ressource; les caractéristiques de la dimension des morts ? Était-il supposé les connaître ou devait-il simplement y aller de ce qu’il croyait ? Il choisit de passer à la prochaine question, mais dû se résoudre à la passer elle aussi pour enfin en arriver à quelque chose auquel il pouvait répondre. C’est ce qu’il s’empressa de faire. Il répondit donc à ce devoir de façon très décousu, volant d’une question à une autre se penchant sur son dragon pour se concentrer, tapant de sa plume contre sa tête… Au finale, son devoir ressemblait beaucoup à son formulaire de présentation; remplie de taches d’encre bien grasses, le papier percé en quelques endroit par une mauvaise maitrise de sa plume, une écriture en vallon, tantôt immense, tantôt minuscule et, ma fois, très maladroite. Quand le tout fut terminé, Nino tendit la feuille devant lui et eut la même réaction de dégoût et de crainte de rejet que le soir de la cérémonie de bienvenue. Puis il haussa les épaules et éclata de rire; que cela pouvait-il bien lui faire si sa copie ressembla davantage à un brouillon ? Il avait tout de même complété le devoir ! Pour ce qui est de l’encre et de la maitrise de la calligraphie, il finirait bien par s’améliorer un jour !

Le visage toujours rayonnant d’un sourire, Nino déposa sa copie en ricanant. Il saisit son œuf, qui trempait dans l’eau depuis un long moment déjà, puis se propulsant contre la paroi du bassin, Nino s’éloigna de celui-ci et pris une grande respiration avant de plonger, les paumes plaquées contre son œuf, dans la même position que plus tôt. Les mains ainsi étalées contre la dure membrane verte et brune, elles couvraient la presque totalité de l’œuf. Tout comme la fois précédente, le jeune homme ne parvint pas à atteindre le fond du bain et dû remonté en catastrophe. En pointant le nez à l’air frais, Nino entendit un curieux couinement, mais il comprit vite qu’il s’agissait de la souris blanche. La petite créature se tenait debout sur le rebord de l’eau sans oser y plonger. Puis elle se mit à se plaindre et Nino comprit qu’elle réclamait qu’il aille la voir. Nino s’exécuta; il pataugea jusqu’à son amie. Sans avertissement, la souris blanche sauta sur l’œuf dès qu’il fut assez près. Lorsqu’elle atterrit, une petite éclaire blanche zébra la surface ovale. Cet étrange phénomène s’estompa mais de minuscules filets d’électricité subsistaient sous les pattes de la petite bête blanche. Nino était très intrigué par ce qui ce passait, on aurait dit que les deux créatures communiquaient ensemble… Nino se concentra donc sur sa petite compagne. Soudain, il entendit une voix craintive :

-Qui es-tu ?

Nino se retourna brusquement et se mit à scruter la pénombre qui l’entourait.

-Qui est là ?

Mais personne ne répondit. Après un moment à attendre, Nino tourna les yeux vers la souris et lui lança un regard suspicieux. Puis il lui dit à voix haute :

-Est-ce toi qui as dit ça ?

Mais il était bien évident que la bête n’avait rien compris de ce que lui avait dit Nino. Ce dernier finit par retrouver sa concentration, laquelle il dirigea vers ses compagnons et guida sa pensé sur ces quelques bouts de phrases :

-Je… je m’appelle Nino Elenwë… hum… Je suis apprenti dragonnier… Qui êtes-vous ?

-C’est donc toi qui me traîne ainsi depuis longtemps ? Je suis ravie de faire ta connaissance.

Nino resta bouche bée… était-ce là son dragon qui venait de lui parler ainsi ? Ou bien la souris blanche ? Elenwë était confus, de plus, il trouvait troublante l’assurance qu’il sentait émaner de la voix.

-euh… Est-ce que vous êtes le dragon ? Je veux dire… celui enfermer dans cet œuf ? dit-il en tapotant la dure paroi

-Oui, et j’avais bien peur de ne pouvoir te parler que lorsque ma coquille se briserait…

-Pourquoi étiez-vous incapable de me parler ?

-Parce que ton esprit était fermé. Alors que pour parler avec quelqu’un de cette façon, il faut être ouvert à lui…

Nino trouvait cet idée plutôt étonnante, car toujours ses parents lui avaient appris à se méfier des étrangers et à ne se concentrer que sur lui-même, mais jamais il n’aurait imaginé qu’un tel comportement le menait à fermer son esprit. Toutefois, il était heureux d’avoir enfin un premier contact avec son dragon, car les questions qui l’avaient assaillit ne manquaient pas : comment savoir si son dragon avait tous ce dont il avait besoin, ainsi enfermé dans une coquille imperméable ? Comment savoir si son développement allait bon train ? Ou si simplement il… ou elle… était encore en vie ? Peut-être s’en occupait-il mal ? L’œuf était constamment collé contre son corps, hors ce dernier était glacé… ne fallait-il pas de la chaleur pour qu’un bébé animal se développe normalement dans son œuf habituellement ? Tout à coup, il s’aperçu qu’il lui manquait une information importante :

-Dites, avez-vous un nom ?

-Thaïs, souffla le dragon.

-Thaïs… répéta le garçon, il aimait bien, il parvenait à ressentir le nom même… Et… êtes-vous un dragon… ou une dragonne ?

-Je suis une dragonne. Dit-elle avec fierté. Avant qu’on ne m’enlève à eux, mes parents me disaient que j’étais née sous une pleine lune très brillante, dans les montagnes… mais je ne sais pas ce que cela signifie…

-La lune… Nino sourit, La lune est un grand disque brillant accroché au ciel, il éclaire faiblement la nuit et veille sur notre sommeil. Elle est la mère de mon peuple.

Nino et Thaïs continuèrent à dialoguer ainsi durant un long moment, sous le regard innocent de la souris blanche.