Entretien [Fondateurs]

Il ne venait pas à Maelthra Magthere pour renouer avec la sociabilité ni parce qu’il aimait les enfants. Il avait entendu parler de cette école, on recherchait un infirmier disait-on et il avait vu là une parfaite excuse pour mettre un terme à son errance. Il était temps pour lui de mettre réellement en pratique ses capacités, de tester sur d’autres personnes et pas que sur lui-même ou les quelques malheureux qui croisaient son chemin.
Il n’avait pas de bonté d’âme et si ces gosses mourraient d’une maladie ou d’une blessure ça ne lui importait pas vraiment, ce qui comptait c’était de partir d’un remède peu efficace et de passer tout son temps à le perfectionner. Il n’avait jamais trop compris pourquoi son pouvoir c’était la flore et surtout que celui-ci s’était développé à des fins curatives. Après tout il n’était pas attentionné envers les autres, il n’avait jamais aimé qui que ce soit lui semblait-il et faire le bien était vraiment le cadet de ses soucis.
S’il s’était intéressé à ses pouvoirs c’était parce qu’il ne pouvait arrêter de faire quelque chose sans être arrivé à la perfection. Au fil du temps il avait réussi à développer des capacités surprenantes et c’était celles qu’il ne maîtrisait pas encore qu’il aimait le plus, peut être qu’un jour il parviendrait à maîtriser à tel point le pouvoir des plantes qu’il en serait complètement transformé.

Une école, ce n’était pas non plus ce dont il avait rêvé pour faire ses expériences. Il y aurait toujours une foule de personnes, le seul avantage c’était qu’il y aurait sûrement des malades tous les jours, de quoi s’occuper et laisser libre court à sa méchanceté.
En fait il ne détestait pas vraiment les autres, ils ne lui avaient rien fait mais ils étaient trop différents pour qu’il songe ne serait-ce qu’à les comprendre ou les accepter comme ses égaux.
La solitude ne lui pesait pas sur les épaules et c’était presque avec regret qu’il la quittait. Pourtant il était temps de passer à autre chose, il ne s’ennuyait pas mais savait pertinemment qu’il n’était pas voué à cette vie. Quel homme pourrait y être voué même après avoir vécu tous les maux de ce monde et être dégoûté des autres ?

L’animation qui régnerait dans quelques jours ne lui déplaisait pas, il n’avait aucun mal à se trouver parmi toute une foule de personnes et il était parfois intéressant d’observer les autres, d’écouter leurs conversations…

« Excusez moi, je cherche Maelthra Magthere. »
« Ce n’est pas très loin, juste au Sud du village, vous voyez la grande bâtisse là bas ? Eh bien c’est ici ! »

Maelthra Magthere… Drôle de nom. Il ne savait même pas où il se trouvait, combien de lieues il avait fait ni même quand il était né. Tout ce qui faisait partie de lui, toute sa vie était construit sur un immense trou noir mais il s’en fichait complètement. Il lui semblait qu’il avait toujours passé sa vie dans cette impassibilité constante et il ne cherchait pas à vivre autrement puisqu’il se complaisait dans son état.

La démarche sûre et la tête haute, il ne quittait des yeux le bâtiment qu’on lui avait indiqué que lorsqu’il fallait s’engager dans l’une des rues du village. Et malgré sa petite taille il ne faisait aucunement attention aux autres et les bousculaient même s’ils se mettaient en travers de son passage. Son comportement lui valut quelques insultes auxquelles il ne prêta pas attention mais personne ne chercha à le provoquer, il fallait dire que son regard glacial était autant inquiétant que le serpent enroulé autour de son corps.

Le village n’était pas bien grand et il en sortit rapidement tout en se dirigeant à travers champs en direction de l’école. Il aurait pu suivre le sentier, ce n’était pas plus court mais il sentait le besoin de communier avec les plantes avant de rentrer entre quatre murs. L’absence de sa magie ne l’empêchait pas de dormir et ne l’effrayait pas mais c’était toujours une sensation bizarre, comme si une partie de lui-même n’était plus là.
Il s’arrêta à mi chemin et s’assit en tailleur dans l’herbe sur laquelle perlaient encore quelques gouttes de rosée. Il ferma les yeux et Siffrit quitta bientôt son corps pour chasser. Il ne se préoccupait pas de lui, se ferma à toutes les pensées qui remplissaient sa tête, à tout souvenir, seulement concentré sur les bruits de la nature.

Le vent glissait sur sa peau comme il le faisait sur les plantes, comme une légère caresse pour manifester sa bonne humeur matinale. L’herbe en retour se pliait à ses caprices n’offrant aucune résistance, elle était en totale harmonie avec lui comme ses cheveux qui s’envolait, découvrant la peau livide qui se cachait d’ordinaire sous sa chevelure.
De l’herbe fraîche se dégageait un doux murmure que personne sans doute n’avait entendu, c’était comme si chaque brin parlait à son voisin. Il ouvrit la bouche pour laisser sortir les sons que produisaient ses cordes vocales, un chant d’une langue inconnue comme s’il était lui-même un brin d’herbe, faisant corps avec les éléments qui l’entouraient : la brise dont les caprices étaient imprévisibles, la terre mère source d’énergie sous toutes ses formes…
Il leva une main attirant avec calme l’énergie de l’herbe qui l’entourait, c’était toujours une expérience fascinante, il sentait glisser sur la peau de sa main une énergie à la fois chaude et froide, électrique et statique mais dont les extrêmes s’associaient pour créer la perfection.
Quoi de plus pur que la nature et les plantes qui l’entouraient ? Il aurait tirer de cette énergie la force qu’il voulait : la même chaleur que le soleil, la même froideur que la glace, la même fluidité que l’eau ou la solidité de la pierre. Mais là n’était pas son but, il cherchait à entrer en parfaite harmonie avec son élément et préserver l’équilibre fragile de l’énergie qu’il tirait. Contrairement à ce que l’on pourrait penser il s’agissait d’un exercice très difficile qui demandait patience, calme, une extrême concentration et surtout aucune pensée qu’elle soit positive ou négative.

L’énergie autour de lui avait grandi peu à peu pour former une bulle autour de son corps mais quelque chose le déstabilisa et lorsque l’équilibre fut rompu l’énergie se dispersa.
Il ouvrit les yeux cherchant rapidement ce qui avait pu le déconcentrer, en vain. Il se releva, il se sentait prêt pour passer son entretien, car même s’il s’agissait pour lui d’une formalité il voulait exercer une emprise totale sur ses faits et gestes. La moindre erreur pourrait susciter des interrogations car il était inconcevable qu’il parle de sa véritable vie et de son comportement vis-à-vis des autres. De toute manière il n’avait jamais su vivre autrement que dans le mensonge, il savait qu’il lui était impossible de changer, personne n’avait réussi.

Il siffla pour rappeler Siffrit et se mit en route, sachant pertinemment que le serpent le rattraperait. Ce fut d’ailleurs rapidement le cas, il s’arrêta pour le prendre dans ses bras et le caresser affectueusement et repartit.

Une fois arrivé il poussa la porte de l’école et fut surpris du calme qui y régnait. Il se rappela alors que ce n’était pas encore là rentrée et que très peu d’élèves et de professeurs devaient être encore là. Il croisa cependant un homme à qui il demanda son chemin et se dirigea derrière le grand escalier.
En face de lui se trouvait une porte de bois, il frappa avant d’entrer.

Lorsqu’il entra dans la pièce il ne prit pas la peine d’observer les lieux, fixant son regard sur l’homme qui se trouvait en face de lui, assis à son bureau. Il s’agissait sans doute du fondateur mi démon dont il avait entendu parler et à vrai dire il ne se souvenait plus de son nom qui n’avait pas du l’interpeller quand on l’avait cité devant lui.
Il émit un léger sifflement pour faire comprendre à Siffrit de le laisser ici, c’était leur moyen de communiquer s’il n’avait pas besoin de mots pour lui expliquer ce qu’il devait faire. Le reptile glissa jusqu’au sol de pierres froides et s’enroula sur lui-même dans un coin.

Le petit homme s’avança alors jusqu’à être à distance respectable du fondateur pour pouvoir discuter avec lui. L’heure était peut être trop matinale pour rendre visite aux fondateurs mais cela ne l’avait même pas interpellé, il avait tellement l’habitude de se lever peu avant l’aurore et de vivre reclus qu’il ne se préoccupait pas vraiment des autres.

« Bonjour, je suis Monsieur Ish Al Sizun, on m’a dit que le poste d’infirmier était toujours vacant. »

Son ton n’était ni trop aimable ni trop glacial et il fixait intensément l’homme en face de lui, ne quittant pas ses yeux du regard. Peu importait que cela soit perçu comme une impolitesse, s’il savait qu’il ne devait pas montrer son caractère réel pour avoir le poste il n’allait pas non plus changer et se transformer en la fée clochette. Les miracles qui changaient complètement les hommes n’avaient aucun sens à ses yeux.

Il poursuivit presque aussitôt, ne laissant pas le temps à l’homme de répondre, pensant qu’il était plus avisé de commencer à lui parler de ses compétences plutôt que d’attendre qu’il lui serve le thé.

« Quoi que vous puissiez attendre d’un infirmier, mes compétences sont orientées dans le domaine curatif des plantes. Je maîtrise très bien cette matière grâce à de très nombreuses années d’études théoriques et d’expérimentation. J’ajouterais que mon élément est la flore et qu’il me permet d’avoir poussé bien plus loin les propriétés curatives des plantes et qu’au stade où je suis, je m’avère être capable de guérir tout type de maladie connue ou tout autre accident. Il va de soi que je n’applique mes traitements sur les patients qu’après être certain que le traitement n’est pas nocif pour quiconque. »

Il se tut, laissant le fondateur réfléchir. Il ne voulait pas l’engloutir sous des propos trop longs ou trop complexes, il s’était contenté d’exposer sa méthode de fonctionnement de manière synthétique. Il ne savait en réalité s’il avait été clair car il y avait bien longtemps qu’il n’avait dû faire valoir ses capacités ni même qu’il ait eu une vraie discussion avec quelqu’un. D’aussi loin que remontait son passé il n’avait pas souvenir d’avoir eu un jour ne serait-ce qu’un ami et ses relations s’étaient toujours limitées à l’utile voire le nécessaire.

« Je répondrais bien sûr à toutes vos questions. » Dit-il avec un léger sourire.

Sourire… Il pensait qu’il avait oublié comment faire, pourtant non et cela lui était venu naturellement, après tout jouer un rôle n’était pas très difficile lorsqu’on y mettait du sien. Il savait de toute manière qu’il se contrôlait assez pour ne pas laisser transparaître son caractère compromettant. Et sans fierté malvenue il pensait obtenir facilement le poste, même s’il était peu avenant lorsqu’il le voulait vraiment il avait réellement les compétences et, à quelques jours de la rentrée les fondateurs ne pouvaient se permettre de refuser un infirmier, un accident était si vite arrivé… Tant et tant de petites vies entre ses mains… Cela pourrait s’avérer amusant.