Un jour au goût de sang

[PREMIER POST]

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Jeudi 16 septembre, onze heures cinquante neuf précisément. Dans cette dernière minute avant le début du cours de Magie Défensive, les élèves de première année les plus zélés se pressaient déjà devant la salle. Quelques autres, plus nonchalants, traînaient des pieds pour ne pas trop avoir l’air intello et discutaient bruyamment.

Mais bien loin de là, au vaste Réfectoire animé, Noktcha Byngsu oubliait totalement ce qu’il était censé faire à ce moment précis. Et pour cause : il avait faim. Chez un être normal, cela se manifesterait par quelques timides gargouillis intestinaux. Mais chez un descendant de kappas, cela se traduisait par un état proche de la crise de nerfs : toutes ses pensées convergeaient vers le vide éprouvé au ventre, et chaque odeur devenait plus intense que d’habitude, décuplée comme sous l’effet d’un sort.

De plus, la faim de Noktcha différait selon des périodes irrégulières qui déconcertaient tout le monde : du féroce amateur de concombres capable de s’aventurer après le couvre-feu dans des potagers environnants pour aller voler de quoi apaiser la rage de ses entrailles, Noktcha passait du jour au lendemain à l’état d’un farouche carnivore auquel présenter la moindre feuille de salade reviendrait à lui donner un haut-le-coeur.
Même l’intéressé en personne ignorait à quel moment précis ses goûts allaient changer de nature. Il lui suffisait de s’arrêter sur le seuil du Réfectoire, comme aujourd’hui, et de prendre une profonde inspiration. Alors que la forte odeur de viande grillée contre des feuilles de lauriers lui inspira un léger dégoût, il comprit aussitôt dans quelle humeur gastronomique il se trouvait.

Carnivore. Le pur et dur, celui dont les crocs frémissaient presque à l’idée de se planter dans la plus réticente des chairs. Le carnivore digne des contrées sauvages où il était né, celui qui aimait dévorer sans scrupules quelque chose encore palpitant de vie.

De son regard intensément clair, Noktcha balaya la salle et dévisagea les élèves. Ceux qui levèrent la tête la baissèrent aussitôt, effrayés par la lueur cruelle qu’ils apercevaient sur son visage. Les bizarreries du métis humain-démon faisaient partie des plus redoutées dans l’école. Surtout maintenant qu’il venait de redoubler. À son propos, les rumeurs s’amplifiaient : était-il vraiment inapte aux cours ou manipulait-il les gens à sa guise ? Nul ne pouvait réellement cerner ce petit être au sourire énigmatique et à l’attitude toujours inquisitrice. Les demoiselles en particulier évitaient soigneusement de s’approcher de trop près, alertées par les anecdotes racontées par leurs aînées ou bien juste par la façon dont Noktcha les dévorait des yeux. Comment pouvait-on faire confiance à un garçon aux manières cavalières dont il ne semblait pas se rendre compte ? Comment supporter l’impulsivité de cet espèce de sauvageon alors qu’on avait été élevée dans une famille descendant d’une lignée tout à fait respectable..?

Alors que Noktcha scrutait le teint rosi d’une jeune première année attablée pas loin de l’entrée, il ressentait un vif appétit confondu entre sexualité et gastronomie. Sans réfléchir, il s’avança vers elle et lui prit le visage entre ses mains palmées qu’il avait appris à revêtir de gants afin de moins choquer ce genre de personnes sensibles.

”Délicieuse demoiselle…” susurra-t-il en se penchant sur elle.

Figée par la peur, la jeune fille lança un regard de détresse à ses amies, qui se contentèrent de manger en silence en faisant semblant de ne rien remarquer. Toutes se voyaient soulagées de ne pas avoir été celle sur laquelle ce sauvageon avait jeté son dévolu.

”Tu veux des diamants ? J’en ai plein, mais je m’en fiche. Je t’en donnerai autant que tu veux…

La première année se mit à crier et repoussa violemment Noktcha.

”Quelle audace ! Laissez-moi tranquille !”

Le garçon sourit et s’apprêta à revenir à la charge. Il ne parvenait pas à maîtriser cette émotion brûlante qui l’animait. Après tout, c’était de la faute de cette jeune fille si elle possédait des joues si tentatrices !

il faudrait plutôt mettre midi et demi que midi dans ton horaire XD

Il était midi. Et à midi, l'élève devait bien combler le trou qui lui servait lieu d'estomac s'il voulait être d'une humeur un petit peu moins maussade pour son prochain court, trois heures plus tard.
Et donc, pour combler ce trou, il devait bien aller au Réfectoire, cette pièce immense dans laquelle les élèves prenaient un malin plaisir à être encore plus bruyant que d'habitude. C'était, par ailleurs, des émetteurs hors pairs pendant l'heure du repas, et bien souvent quelques souvenirs heureux ou de colère inutiles, quelques uns pleins de remords, aussi. L'ensemble avait tendance à générer en lui un sentiment proche de l'amertume. Et ceci était particulièrement vrai ce jour-là...
Pourtant, le Jeudi 16 septembre aurait dû être un jour parfaitement normal, tout ce qu'il y avait de plus classique; Magie Offensive et Vol sur Dragon avait été le rythme de sa matinée, et il aurait dû alors être ravi puisqu'il aimait particulièrement ces deux matières... Seulement, il était de mauvaise humeur. Par ailleurs, il s'était bêtement blessé, le matin même, en essayant de réaliser quelque chose avec sa dague qu'il avait raté. Depuis la rentrée cela faisait deux fois qu'il se blessait avec sa propre dague, et cela n'avait fait qu'empirer son humeur plus que massacrante.
Et un Årghann de mauvaise humeur était pénible, autant pour les personnes qui pouvait être autour de lui que pour lui-même; devenant irascible et s'énervant pour presque rien, s'enfermant dans des pensées qu'il était bien de ne pas connaître et jurant intérieurement contre son état de colère qui le propulsait dans une sorte de faiblesse qu'il haïssait par-dessus tout. Mais il aurait été trop simple si cet élève pouvait, ou plutôt se donnait la peine, de se calmer enfin et de voir les choses sous un angle d'une neutralité absolue. C'était presque trop lui demander, ce tout petit effort de pensées qui aurait simplifier la vie de quelques unes des personnes qui étaient obligées de se tenir à ses côtés, durant les cours notamment.

L'Ombre s'installa à une table, tachant de se tenir le plus loin possible du moindre élève qui avait l'air un tantinet susceptible de lui adresser la parole; ainsi prit-il place à côté d'un jeune garçon qui paraissait encore plus désagréable que lui-même. Au moins il ne serait pas tenter d'aller parler à l'énergumène aux longs cheveux noir et rouge qui lui tenait lieu de voisin...
Finalement cet élève-là partit rapidement, et quelques filles vinrent pas loin de lui. Elles parlaient bruyamment et semblaient avoir trouvé un sujet de conversation pour le moins... bateau pour des filles telles que celles-ci: un garçon. Cependant Årghann comprit relativement vite qu'il s'agissait là d'un cas un peu... spécial; un jeune homme qui avait apparemment l'air de terrifier un certain nombre des demoiselles ci-présentes. L'Ombre se renfrogna et pesta contre le manque de tranquillité qu'il avait. En même temps il n'aurait théoriquement rien dû attendre d'autre en venant dans ce lieu, et cela l'énervait, tout simplement.
Il songea à quitter cet endroit lorsqu'un jeune homme attira son attention. Le garçon en question faisait parti de sa maison, c'était certain; il l'avait déjà croisé rapidement dans la salle commune, mais ne lui avait accordé qu'un très bref regard, avant de se concentrer sur autre chose. Pourtant, là, il parvenait à présent à capter l'attention du jeune élève; le regard de son compagnon de maison avait quelque chose d'étrange voir même de... cruel. Étrange, il ne lui semblait pourtant pas que cet élève fut pour le moins porté sur le plaisir de nuire aux gens.
Mais bon, ce n'était pas non plus la plus grande attraction du siècle, et Årghann se décida à quitter le réfectoire. Il passa alors près du jeune garçon qui était apparemment en pleine contemplation d'une jeune demoiselle. A ce moment-là cette dernière le repoussa violemment. Normal..., songea l'Ombre, le regard toujours posé sur le Kiah'l

Noktcha s’attachait vite à toutes sortes de personnes et ne lâchait pas facilement prise. Les quelques cris de la jeune fille ne suffiraient pas à refroidir ses ardeurs. Bien au contraire…
Mais alors qu’il se penchait de nouveau sur elle pour humer son délicat parfum de plus près, une autre odeur bien plus séduisante l’arrêta immédiatement : celle d’un sang encore frais.

Le métis kappa s’éloigna de sa première “proie”, qui poussa un soupir soulagé et se vanta auprès de ses amies qu’elle avait réussi à mettre le sauvageon en fuite. L’intéressé suivit la puissante et subtile effluve qui narguait ses origines et tomba immédiatement sur un garçon à la longue chevelure noire et rouge qui semblait renforcer son air renfermé et taciturne. Pourtant, l’association de ces couleurs captiva Noktcha, très sensible aux choses originales. Il s’approcha donc de lui avec un regard brillant de curiosité, et lui passa la main dans les cheveux. Le geste fut si prompt et partant d’une réaction si naturelle qu’aucun élève de ce niveau n’aurait pu le voir venir. Comme toujours, le coeur de Noktcha était si insondable que ses mouvements se prévoyaient difficilement.

“ C’est beau…” murmura-t-il en scrutant la chevelure de son camarade.

Son ventre se mit à gargouiller bruyamment, banale réaction aux pensées de Noktcha : ce qui était beau devait sûrement aussi être bon. Cela pourrait s’appeler “la théorie du kappa”.

Ses gencives le tiraillaient, comme si l’envie de croquer la chair devenait incontrôlable. Son regard quitta alors le visage du jeune homme pour aviser son corps entier. Derrière ce tissu sombre se cachait une blessure encore fraîche dont le descendant de démons des eaux rêvait de se délecter.

“C’est où ? Là où tu t’es coupé ? C’est où ? Montre."

Mais il ne prit pas la peine d’attendre la réponse, il commença à tirer sèchement sur les vêtements de l’élève afin de les lui ôter. Autour d’eux retentirent des chuchotements actifs. Drôle de duo que ce garçon en habits de soie qui se comportait sans convenances avec un autre à l’allure ténébreuse !

“Laisse-moi voir !" supplia Noktcha apparemment très diverti par la situation.

Ses doigts s’acharnèrent tant sur le tissu dont il réussit à faire craquer quelques petites coutures. Lorsqu’il aperçut la blessure, divine fleur rouge sur une surface lunaire, il s’empressa d’y plaquer ses lèvres. Baiser de carnivore, geste fou aux yeux des autres mais empli de sens pour celui qui l’accomplissait. Hommage indirect à ses ancêtres.

Sa langue broya la mince croûte qui s’était formée, fouilla dans la chair rosie, happa quelques gouttes d’un sang piquant. Epice surannée. Le métis kappa jubilait. Il ne songeait ni au ressenti de sa “proie”, ni aux conséquences de son acte. Seul comptait l’instant.

La matinée n’avait pas été très tranquille, ni vraiment productive, pas assez pour mettre l’infirmier dans l’irritation mais il était d’humeur plus exécrable que dans ses bons jours. L’heure n’était pas encore assez avancée pour qu’il puisse prendre un peu l’air et il avait décidé de s’occuper un peu de ses plantes.

La porte s’ouvrit violemment, des élèves essoufflés entrèrent brusquement dans l’infirmerie.

« Monsieur ! Monsieur ! »

Mais qu’y avait-il encore ? Ces élèves n’étaient donc pas capables de se tenir ne serait-ce qu’une journée ? Si ce n’était pas parce que l’un d’entre eux était sur le point de mourir il allait leur faire regretter d’être venus. Pourtant sa réputation s’était déjà répandue dans toute l’école et les élèves ne se seraient pas permis de venir lui crier dans les oreilles pour le plaisir. Ce fut la seule chose qui le poussa à sortir de sa serre.

« Qu’est ce que vous attendez béatement ? »

Il s’adressa sèchement à eux, dardant sur eux un œil glacial. Les élèves avaient pâli, ils se tenaient les uns contre les autres et semblaient regretter profondément d’être venus, même à plusieurs ils n’avaient pas une once de courage. Mais qu’allaient devenir ces imbéciles si leur espèce de cavalier stupide débarquait ?

« Euh… eh bien… c’est que… on nous envoie… parce que là vous savez… l’espèce de sauvage là… enfin Noktcha… »

« Bon je n’ai pas toute la journée. »

Il s’apprêtait à faire demi-tour quand l’élève qui avait pris la parole réussi à former une phrase complète et intelligible.

« Noktcha est en train de sucer le sang d’Arghann et le pauvre il va mourir si vous ne venez pas ! »

« Quoi ? Mais pourquoi vous ne me l’avez pas dit plus tôt ? Siffrit ! »

Les élèves furent étonnés, pour une fois l’infirmier semblait se préoccuper de la santé d’un des élèves, ils le regardèrent rentrer dans sa serre, en ressortir avec diverses herbes et plantes dans les mains, son serpent le suivait, quand il sembla s’intéresser aux élèves, lui aussi avait faim.
Ils s’élancèrent, montrant le chemin du réfectoire à l’infirmier finalement plus très pressé ou préoccupé de la vie de cet élève qu’on était en train de vider de son sang. Une fois arrivé dans le réfectoire un brouhaha lui vrilla les oreilles, tous les élèves présents ne mangeaient plus vraiment mais regardaient de loin la scène qui se passait sans pour autant vouloir intervenir.

« Silennnnnnnnnce ! » Hurla l’infirmier. « Je ne m’entends même plus penser ! »

La réaction fut immédiate et on n’entendit plus que quelques chuchotements, visiblement tous avaient peur que le petit homme s’acharne contre eux. Il se rapprocha des deux individus qu’il n’avait encore jamais vus et réfléchit un instant à ce qu’il allait faire. Il ne prit que quelques secondes, puis des plantes qu’il tenait dans ses mains se dégagea une énergie vert sombre. Elle se jeta avec violence contre l’espèce de vampire cannibale, le cloua au sol pour finalement l’empêcher de bouger, sans pour autant rentrer dans son corps, les conséquences en auraient été désastreuses.

« Que quelqu’un apporte de la viande à celui-là. Et tout de suite ! »

Quelques élèves se décidèrent à obéir et posèrent en tremblant à côté de Noktcha plusieurs morceaux de viande. Lorsqu’ils furent éloignés le petit homme relâcha la pression magique qu’il exerçait sur le sauvage sans se préoccuper vraiment de ce qu’il ferait. L’énorme serpent albinos s’approcha avec un air menaçant du petit tas de viande, c’était à qui serait le plus rapide.
Il fit asseoir l’autre, regarda son bras pour voir ce qu’il pourrait y faire, il avait perdu beaucoup de sang et allait devoir l’amener à l’infirmerie mais pour le moment il devait stopper l’hémorragie. Il appliqua plusieurs feuilles sur la plaie avant d’y poser sa main. Lorsqu’il la retira, les feuilles et la plaie avaient disparu mais c’était pour l’infirmier loin d’être suffisant.
Il était vraiment très pâle et allait sans doute s’évanouir, il lui donna ce qui était le plus efficace : du sucre avec de l’alcool dessus, un très bon et vieux alcool de verveine… un peu trop fort peut être.

« Avalez ça. Vous pouvez vous lever ? Je vais vous amener à l’infirmerie et arranger votre cas. »

Sa voix restait sèche et inamicale, mais ce qui comptait c’était de le soigner n’est ce pas ? Il se retourna et regarda le second élève.

« Et vous aussi venez, je vais voir ce que je peux faire pour vous ! »

Il souriait, amusé, il se redressa et regarda si l’élève livide arrivait à se lever et si l’autre avait assez mangé pour ne pas sauter sur le prochain blessé.

Årghann n'avait pas forcément prévu quoique ce fût après qu'il se fût éloigné de ces gens qui lui faisaient presque peur tant ils étaient étranges, se tenir à distance respectable de ce genre de personne était le plus important.
Seulement, le fait qu'il n'avait rien prévu à ce sujet ne l'avait tout simplement pas préparé à ce qu'il se passa ensuite. Le charmant élève de sa maison, être pour le moins étrange qui semblait ne pas avoir appris les règles les plus simples de la vie en société, lui passa brusquement la main dans les cheveux, les trouvant vraisemblablement à son goût. D'ailleurs il le lui annonça, et avant même que'il eut le temps de protester et encore moins de se libérer, l'élève commençait à s'exciter et à parler de blessure. Et il eut encore moins le temps de réagir lorsque l'autre parvint à lui déchirer son haut et à plaquer sa bouche sur sa blessure...
- MAIS CA VA PAS?!?
Seulement... autant parlé à un mur: bizarrement l'élève avait de la force et ne voulait décidément pas lâcher l'Ombre, qui ne savait plus comment faire pour se libérer; si au moins son pouvoir avait pu l'aider... mais il fallait, bien sûr, qu'il tombât sur un imbécile de première doté de trous de mémoire effarent et qui semblait se rappeler de rien; oh, Årghann n'aurait jamais prétendu pouvoir repousser un ennemi avec des souvenirs, mais il en était autrement avec les élèves, bien plus impressionnable si on leur présentait des moments douloureux de leur existence, ou si, pire encore, Årghann s'en faisait le messager et qu'il leur murmurait doucement à l'oreille des moments franchement désagréables et très... personnels; nul n'aimait voir sa vie ainsi étalée, et l'Ombre était pourtant un habitué de ceci... finalement, ce pouvoir pouvait s'avérer utile contre tout importun comme celui qui s'accrochait désespérément à son bras, tel une sangsue sous forme humaine, un Vampire affamé qui n'avait rien d'autre à faire que de se nourrir de cet élève... Se nourrir?!?
L'Ombre eut un sursaut avant l'arrivée d'un personnage qu'il aurait bien aimé ne pas revoir de sitôt: l'infirmier.
Celui-ci hurla, avant de trouver un moyen de séparer les deux élèves. Puis avant même qu'il eut le temps de réagir - encore une fois - l'infirmier le fit assoir et lui appliqua quelques plantes sur le bras. Pour le coup l'élève se sentit quelque peu... bizarre; sûrement la combinaison de son manque de sang et de la magie de l'infirmier. De plus il se sentait tout simplement fatigué et n'avait qu'une envie: dormir et ce, malgré les cours qu'il avait l'après-midi. Il ne voulait plus avoir affaire au moindre élève, au moindre professeur. Il ne voulait plus revoir celui qui, actuellement, s'occupait de savoir s'il allait bien. En fait... il était tellement excédé qu'il voulait juste quitter l'école, quand bien même le Petit Homme cherchait à le mettre sur pied.
Finalement il se redressa, avec difficulté, et fusilla du regard le Kiah'l tout en se retenant de l'insulter copieusement. Il en avait assez de cette journée qui, pourtant, était loin d'être fini: voilà qu'il devait se rendre à l'infirmerie à cause d'un idiot incapable de réfréner ses instincts. Génial, il ne manquait plus que cela.

C’était bon, ce sang, suave et frais comme… comme rien d’autre, Noktcha était présentement un carnassier, et aucun autre aliment ne semblait aussi délectable que la chair rose. Mais s’il fallait vraiment émettre une comparaison, on aurait pu rapprocher ce goût si particulier à la friandise la plus raffinée.
Mais malheureusement, ce plaisir paraissait incompris par l’assistance, qui émit un brouhaha outré, et par la victime elle-même qui tenta –vainement- de se débattre. On n’échappait pas facilement au désir d’un kappa ! Quand sa bouche avait décidé de se plaquer sur vous, cela faisait l’effet d’une féroce sangsue.

Les murmures cessèrent lorsqu’un cri autoritaire retentit. Mais Noktcha resta indifférent, obnubilé par la possession qu’il faisait du bras du pauvre élève. Mais en un éclair, le kappa se sentit arraché à sa proie et violemment plaqué au sol. Empêtré dans une sorte de prison florale dont il admira la couleur verdâtre, il ne pouvait plus bouger. Il trouva la situation plutôt comique, surtout en dévisageant le Kiah’l tout blême par sa faute. Pourquoi avait-il aussi peur ? Il ne faisait rien de bien méchant ! C’étais juste sa manière de communiquer, voyons…

Noktcha jeta un oeil décontenancé à la viande que l’on déposa près de lui. Beurk, elle sentait la feuille de laurier ! Cuite ou non, il n’avalerait pas d’herbe pendant sa période carnivore, sous peine de tout régurgiter en déclenchant des odeurs mémorables. Alors lorsque le serpent s’approcha des morceaux, Noktcha lui sourit béatement.

“Wââââ… t’es beauuuu, toi ! siffla-t-il en plongeant dans les yeux de l’animal le même regard charmeur de tout reptile qui se respecte, “Vraiment superbe… Tu t’appelles comment ? Moi c’est Noktcha !"

Même si l’animal gardait son imparable froideur, il semblait moins menaçant qu’avec les autres élèves. Sans doute familiarisé par les origines visibles du kappa.

Fasciné par le repas du reptile, Noktcha ne remarqua pas l’agitation tendue, ni le rétablissement de sa victime sous l’attention finalement rassurée de la foule. Ce ne fut que lorsque le serpent suivit le mouvement de son maître que le jeune homme leva les yeux vers ce dernier.
Il avait déjà vu ce drôle de petit bonhomme quelque part… mais où ? Etait-ce un membre du personnel de l’école ? Il éprouvait un sentiment très familier envers lui, mais ne se souvenait pas de l’avoir déjà croisé. Pourquoi fallait-il que sa mémoire ressemble autant à un gruyère ? De temps en temps, Noktcha en prenait brusquement conscience et ressentait des bribes de vides qui lui déplaisaient fortement.

Voyant que sa victime allant mieux le foudroyait du regard, le kappa lui fit un clin d’oeil particulièrement joyeux, signifiant “On s’est bien amusés, hein ?!” et dénué de remord.

“Hé, monsieur ! lança-t-il au petit bonhomme ténébreux, Ça pèse, votre truc…"

Les espèces de lianes resserraient leur pression au moindre de ses gestes. Aussi resta-t-il tranquille, attendant d’être libéré. Il se lécha goûlument les lèvres encore rougies. Un vrai ange démoniaque, dont la candide impulsivité pouvait faire des dégâts qu’il ne paraissait pas soupçonner.

Quelques commentèrent fusèrent autour de lui : “Monstre !”. Cela déclaré avec un mépris effrayé, par ceux qui se contentaient de regarder la scène sans tenter de comprendre qui il était vraiment. Mais peu importait à Noktcha. Lui non plus ne se mettait pas à la place des autres.

La suite Ici

» Un jour au goût de sang, partie II [Arghann Mantel - Noktcha Byngsu]